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Michel Stavrou

Quels défis pour l’Église à l’aube du troisième millénaire ?

Texte lu lors du Congrès orthodoxe de Blankenberge,
dont la version complète paraîtra dans le n° 213 (janvier-mars 2006)
de la revue Contacts

Introduction

La question sur laquelle on m’a demandé de réfléchir et de parler aujourd’hui est extrêmement vaste. Il m’est impossible d’en évoquer tous les aspects. Je pouvais donc soit parler du défi fondamental et permanent lancé à l’Église, qui est de féconder le monde, soit décliner les multiples questions que le monde d’aujourd’hui pose implicitement à l’Église et auxquelles celle-ci doit répondre. J’ai choisi une via media en abordant la question posée selon deux approches, l’une théologique, fondamentale, puis l’autre correspondant à l'actualité. En effet, tout comme le Christ qui est sa Tête, l’Église est la même « hier, aujourd’hui et pour les siècles » (Hb 13,8), et son rapport fondamental au monde demeure inchangé. D’autre part, le Seigneur nous exhorte à scruter les « signes des temps » (Mt 16, 2-3), et à être attentifs aux questionnements d'un monde qui a besoin de notre témoignage de l’Évangile.

Il va de soi que mon approche sera limitée, puisque relative au contexte géo-historique dans lequel elle s’inscrit : c’est le propos d’un laïc d’une Église orthodoxe en Occident, Église qui souffre encore les douleurs de l’enfantement.

Après avoir brossé le contexte de l’époque où nous nous trouvons aujourd’hui, puis rappelé la relation de l’Église au monde, je mettrai en évidence quelques-uns des grands défis du moment, avant d'aborder pour finir la manière dont l’Église pourrait y répondre.

I. Le contexte historique où nous nous trouvons aujourd’hui.

L’époque où nous nous trouvons aujourd’hui, en cette aurore du troisième millénaire, est celle de grands bouleversements dus aux mutations technologiques, politiques et économiques des dernières décennies du siècle précédent. Nous sommes engagés dans un processus irréversible, celui de la mondialisation, soutenu par une révolution technique en électronique, en informatique et en réseautique avec le développement exponentiel de l’Internet et des technologies de pointe. La mondialisation crée à l’échelle mondiale une méga-société en réseau, à l’image des sociétés d’informatique où chaque analyste-programmeur est relié à son équipe de travail par l'intermédiaire de son ordinateur : plus qu’une image, il s’agit du paradigme même de la société mondialisée où nous entrons. Presque tous les groupes humains sont, ou se trouveront bientôt interconnectés entre eux.

Ce phénomène mondial a des répercussions immédiates sur notre vie individuelle et ecclésiale. C’est une réalité complexe dont les effets sont contradictoires. D’une part, elle renforce l’intégration de pays jusque-là marginaux, elle favorise la rencontre entre les hommes, les cultures.

Elle présente d'autre part des effets redoutables. Elle déstructure les cultures, y compris celles de l’Occident, en les homogénéisant, et produit, comme le notait le catholicos Aram Ier, une « monoculture mondiale qui dégrade les traditions, valeurs et symboles religieux »(1) . De plus l’interconnexion n’est pas la communion : une uniformisation appauvrissante est source de déracinement et de fragmentation des communautés humaines. Surgissent çà et là des crises d’identité avec de nouvelles tensions et divisions.

Dans ce contexte planétaire entièrement renouvelé, se pose à nous la question du sens ultime de notre existence et de celle du monde. Dans l’époque actuelle de post-modernité, s’impose le rejet de tous les systèmes de valeurs et idéologies qui par le passé voulaient s’imposer au monde. Avec le constat d’un certain abandon des religions traditionnelles, que l'on prétend rétrogrades et dogmatiques, on note aussi une défection de la foi naïve dans le modernisme, qui allait d'ailleurs souvent de pair avec un scientisme humaniste et un laïcisme sectaire. Aujourd’hui, le laïcisme anti-religieux, même virulent, apparaît aussi éculé que les vieilles religions qu’il prétendait remplacer.

Au sein de notre société, il existe pourtant une vraie faim spirituelle, notamment chez les moins de 30 ans. Le religieux retrouve parfois une place, mais de manière ambiguë et contestable : est apparue une sacralité hyper-individualiste des gnoses, des sectes, ou plus généralement des syncrétismes individuels à l'intérieur de laquelle s’élabore un scientisme de l’invisible, qui va souvent de pair avec un refus du risque de la foi et de l’engagement personnel. La pratique des religions traditionnelles s’effondre. Le credo-type s'énonce à peu près en ces termes : « Je crois, non pas à l’idée d’un Dieu transcendant, mais à quelque chose de sacré, d’universel, qui me dépasse et donne un sens à ma vie, même si c’est à moi de trouver lequel. »(2) Des philosophes français peuvent même écrire : « Les religions s’éteignent au moment même où l’individualisation du « croire » prolifère »(3) .

Qu’elle le veuille ou non, l’Église se trouve désormais sectorisée et privatisée, se présentant, de l’extérieur, comme une offre parmi d’autres sur le grand marché des courants de pensée, des religions et des sectes, où comme chacun sait, le client est roi. Cette indifférenciation extérieure suscite fort logiquement la dérision ou l’indifférence, et cela doit interpeller notre conscience ecclésiale.

On observe aussi une émergence nouvelle du religieux sous des formes inattendues. Un récent colloque consacré aux nouvelles formes d’appartenance à l’Église remarquait que la façon dont l'Église est vécue en Occident fait qu'il est possible que des gens aient la foi sans appartenir à l'Église, et qu'ils soient membres de l'Église sans avoir la foi.

Face à la situation de reconfiguration radicale du monde et aux crises de mutation qui l’accompagnent, nous devons, pour aborder les défis du temps présent, tenter tout d’abord de revenir à des questions simples : que signifie pour nous l’Église ? Quel est son être profond et quelle est sa vocation ?

II. Approche existentielle de l’Église et de son rapport au monde

1. L’Église et son rapport à l’Eucharistie

Nous proclamons tous ensemble, lors de chaque Divine Liturgie, dans l’article du Credo qui concerne l’Église : « Je crois en l’Église une, sainte, catholique et apostolique ». Nous plaçons ainsi notre foi en l’Église. Celle-ci apparaît donc d’abord non comme une entreprise humaine mais comme un don de Dieu reçu de façon communautaire par l’assemblée de ceux qui ont été appelés par Lui (c’est le sens même du verbe grec ek-kaléô, dont provient le mot Ekklèsia).

Et comment l’Église nous offre-t-elle cette vie en Dieu ? Elle le fait à travers le rassemblement eucharistique, qui commence, dans la Liturgie, par la lecture de la Parole de Dieu, et s’achève dans la communion aux saint dons du pain et du vin, changés par l’Esprit Saint, à la demande de la communauté, en Corps et Sang de notre Sauveur Jésus-Christ. D’autre part, l’Eucharistie est toujours célébrée au nom de l’évêque du lieu, afin de certifier et signifier la communion entre la communauté d’un lieu et toutes les autres Églises situées aussi bien dans l’espace (conciliarité) que dans le temps (succession apostolique). Ainsi se trouve concrètement respectée la catholicité de l’Église, le fait que l’unité et la diversité se conjuguent en un lieu donné, dans la plénitude de vie reçue d’En-haut.

Comme l’a montré le P. N. Afanassieff, l’Eucharistie, loin d’être envisageable comme un sacrement parmi d’autres, se trouve étroitement liée au mystère même de l’Église. La lecture de 1 Cor est on ne peut plus éclairante à cet égard. Au chap. 10, saint Paul dit : « Le pain que nous rompons n'est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu'il n'y a qu'un pain, à plusieurs nous sommes un seul corps, car tous nous participons à cet unique pain. » (1 Cor 10,16-17) ; de même, au chap. 11, l’Apôtre identifie l’assemblée des chrétiens (Ekklèsia) et le rassemblement pour le repas du Seigneur (kyriakon deipnon).

L’Église peut donc être concrètement définie comme la communauté qui se rassemble pour célébrer l’Eucharistie, avec tout ce que cela présuppose et tout ce qui en découle.

Ainsi comprise, l’Église reçoit son être du mystère même du Christ. Saint Paul le dit : « Notre vie est cachée en Dieu [c’est-à-dire le Père] avec le Christ » (Col 3,3). Mais le Christ est bien entendu inconcevable sans l’Esprit Saint, qui repose en lui et qu’il envoie d’auprès du Père pour nous sanctifier. Ainsi l’Église est-elle le signe de la venue du Royaume du Dieu Trinité révélé en Jésus-Christ. Nous voilà donc conduits non vers le passé d’il y a deux mille ans, mais, comme nous le confessons également, vers le Seigneur qui revient en gloire pour un règne qui n’aura pas de fin.

Cela signifie deux choses. 1° En puisant son être dans son état futur, l'Église goûte réellement déjà aux prémices du Royaume. Le rassemblement eucharistique est une image de la convocation des nations lors du Jugement dernier. A la lumière des derniers jours (eschata), l'Église dans son être véritable est le peuple de Dieu rassemblé de toutes les nations, de toutes les conditions humaines, de tous les temps.

2° En tant qu'icône du Royaume de Dieu, l'Église ne s'identifie pas encore à son prototype ; elle se distingue du Royaume qui représente son avenir : nous ne sommes pas encore au ciel ; l'Église est donc en marche vers le Royaume, portant ce trésor qu’est la réalité du Royaume comme dans des « vases d'argile » (2 Cor 4,7).

2. La vocation missionnaire de l’Église

L’Église est divino-humaine. Elle n’est pas simplement divine. Dieu a besoin des hommes : « La moisson est abondante mais les ouvriers peu nombreux. » (Mt 9,37) Nous ne vivons que par Dieu et pour Dieu, et pour que tout homme devienne lui-même et s’accomplisse en Dieu. L'Église n’est donc pas seulement la convocation du peuple de Dieu mais elle est aussi sa dispersion dans le monde pour ecclésialiser celui-ci. La fin de la Liturgie eucharistique le révèle clairement : « Sortons en paix — Au nom du Seigneur ». C’est donc que sortir aussi n’est pas un acte post-liturgique, mais fait partie intégrante de la liturgie eucharistique, appelée à se prolonger en nourrissant chaque instant de notre vie.

Comme le souligne saint Grégoire de Nysse de façon étonnante, le Christ n'est pas accompli au plan humain tant que tous les hommes ne sont pas incorporés en Lui. Non seulement l'Esprit Saint a formé le Christ lors de l'Incarnation mais, en agissant toujours sur l'Histoire, Il fait croître encore son corps et le rassemble en tant qu'Église. L'Église, corps du Christ, est donc une réalité dynamique en cours de réalisation jusqu'au dernier jour. A cette approche correspondent les images bibliques de l'Église Peuple de Dieu en marche vers le Royaume, de l'Église "Cité sainte" qui s'édifie sur la pierre d'angle qu'est le Christ et qui s'organise en vue de l'avènement du Royaume de Dieu (Eph 2,22 ; 1 Cor 3,16), de même que l'image de l'Église Epouse, qui se prépare au face à face, à l'union nuptiale avec son Epoux céleste.

Si l’Église se doit de relever les défis propres à toute époque et à tout lieu, c’est parce qu’elle doit réaliser la tâche que Dieu lui a donnée à accomplir, jusqu’au dernier jour, tâche qui est de rassembler toute la création pour l’offrir à Dieu en Christ par la grâce de l’Esprit Saint, et de hâter ainsi la venue du Royaume de Dieu sur terre.

3. Le rapport ambivalent de l’Église au monde

C’est sous cet éclairage que nous devons considérer le rapport de l’Église au monde. Non seulement, comme on l’a vu, la mission dans le monde est une conséquence nécessaire de l’Eucharistie, mais l’Eucharistie elle-même est impensable sans le monde, qui se trouve porté dans notre prière communautaire offerte à Dieu. Même si elle est toujours célébrée en un lieu concret, limité, l’Eucharistie est offerte pour le monde entier : « Ce qui est à Toi, et qui vient de Toi, nous te l’offrons pour tout et en tout ». Dans le repas eucharistique se renouvelle la relation entre la création et son créateur, réalisée dans le corps et le sang du Christ. Ainsi, en Christ, l'homme réfère au Créateur le monde entier, et en particulier sa propre existence, pour recevoir la vie de Dieu. Le monde apparaît comme le matériau d’une eucharistie universelle, l’homme étant le prêtre de ce sacrement cosmique.

L’Église est appelée, en effet, à être le bon levain dans la pâte du monde pour faire advenir le Règne de Dieu sur terre. Église et monde sont donc des réalités coextensives. De même que le Christ s’est offert en oblation, l’Église qui est son Corps existe non pas pour elle-même — nous ne devons jamais l’oublier et nous l’oublions souvent — mais pour le monde que Dieu a créé par pure bonté, et qu’il destine à une communion plénière avec Lui, au Banquet des derniers jours qui est le terme de l’Histoire. Ainsi pouvons-nous dire avec le patriarche Athénagoras que « l’Église notre Mère est [...] l’axe de l’histoire et le cœur du monde » (4) , « même si le monde ignore son propre cœur » ajoute avec lucidité Mgr Georges Khodr, métropolite du Mont-Liban.

Cela nous conduit au deuxième aspect de la relation de l’Église avec le monde. Il est clair, comme le soulignent à l’envi dans leurs écrits saint Jean le Théologien et saint Paul, que le monde est une réalité ambiguë. Le monde, dans son état actuel (ce monde), a rejeté l’amour de Dieu et s’est isolé dans la vacuité, s'est englué dans la réalité tragique de la mort et du mal. C’est cet échec existentiel de l’homme et de la création, dévoyés de leur vocation originelle, que la Bible et les Pères appellent le « péché », sans connotation morale ou juridique à l’origine. Le conflit entre le Royaume de Dieu et le monde est bien une réalité que nous vivons. Pourtant, le Christ, par son incarnation kénotique et par sa mort-résurrection, a pris sur lui le « péché du monde » ; il a détruit la mort et la loi d’airain du péché ; il a rendu la vie au monde en se donnant dans le rassemblement ecclésial de l’Eucharistie : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair [donnée] pour la vie du monde. » (Jn 6,51). Il s’agit désormais pour les chrétiens de répondre au gémissement de la création dans les douleurs de l’enfantement (Rm 8,22), en communiquant à celle-ci, dans l’Esprit Saint, la puissance de la Résurrection.

« Ecclésialiser la vie », tel était le mot d’ordre des fondateurs de l’ACER pour souligner qu’aucune dimension de notre vie ne doit échapper à la christification qui découle de notre participation commune au banquet eucharistique.

En même temps, il faut le souligner, le processus d’ecclésialisation de nos cœurs, et du monde que nous portons, ne va nullement de soi ; s’il est mené par l’Esprit Saint, il demande aussi de notre part une collaboration active dans l’ascèse patiente et la prière face aux résistances inévitables du monde déchu auquel nous avons encore part nous aussi. L’ascèse représente ce travail intérieur sur nous-mêmes pour nous libérer de l’emprise fascinante qu’exercent en nous les personnes et les êtres, afin qu’ils deviennent non plus des idoles mais des « théophanies ».

L’Église tire son être du Royaume de Dieu à venir « qui n’est pas de ce monde » (Jn 18,36), elle se heurte donc nécessairement au monde, et représente pour lui un corps inassimilable qui ne saurait coïncider avec aucune institution humaine. Nous sommes des pèlerins de passage ici-bas, dans le monde mais non pas du monde.

4. La mission, rencontre entre l’Église et les cultures

A toutes époques et en tous lieux, pour relever le défi principal qui correspond à sa vocation, à savoir la mission, l’Église est appelée à engager une ecclésialisation de la culture, qui se fait idéalement à travers un processus que l’on nomme l’inculturation. Celle-ci représente une dynamique à travers laquelle le message de l’Évangile et de la Tradition ecclésiale entre dans une culture locale, s’y inculture précisément. La culture, qui représente en somme la manière dont un groupe humain perçoit, exprime et vit finalement la réalité, se voit ainsi transformée et jusqu’à un certain point évangélisée.

Sans jamais avoir été vraiment théorisée, cette démarche a toujours constitué, depuis le début du christianisme, une nécessité pour la dynamique de la mission. Le premier exemple est celui que donne l’Apôtre Paul dans son discours aux Athéniens sur l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Il leur explique que le mystérieux autel au dieu inconnu qu’ils ont dressé, était inconsciemment dédié au vrai Dieu qu’il vient leur annoncer clairement. Un point important est ici de souligner la proximité du kérygme évangélique alors que les Grecs y voyaient précisément une doctrine « étrange » et « nouvelle » (Ac 17, 20-21). Les Pères apologistes, puis saint Maxime le Confesseur, ont souligné que les logoi des êtres, les semences de vérité du Logos se trouvent au cœur de la création et des cultures humaines, portés par le Verbe de Dieu et finalement déchiffrés et accomplis en Christ. C’est pourquoi, pour saint Justin le Philosophe, les païens vivant « selon la raison » étaient des chrétiens d’avant le Christ (5) .

Mais plus fondamentalement, l’inculturation est une exigence du dogme même de l'Incarnation. « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1,14). C’est le modèle de toute inculturation. Le fait que le Fils de Dieu soit entré dans un peuple particulier, ne doit pas laisser croire que Dieu aurait sanctifié une culture spécifique, la culture juive en l'occurrence, par laquelle il faudrait donc passer pour être sauvé. Le concile de Jérusalem (Ac 15) a tranché contre cette interprétation judaïsante. Dans la constitution de l'Église, la place de l’Esprit Saint est essentielle : c’est l'Esprit qui lui permet d’être eschatologique (orientée vers l'accomplissement de l'Histoire) et, par conséquent d’être inclusive, ouverte à toutes les cultures comme en témoigne l’événement de la multiplication des langues à la Pentecôte.

Et si l’Église est inclusive, c’est parce que le Christ l’est. Le métropolite Jean Zizioulas montre bien que le Christ (lui, l'Oint de l'Esprit) n'est pas, dans la perspective de la Pentecôte, un simple individu, mais qu’ll est corporatif à travers l’Église qui est son corps (6) . Non seulement il est « le premier-né » d'une multitude de frères (Mt 25,40) mais « de toute la création » (Col 1,15) qu’il récapitule en lui (Eph 1,10). Aucune culture ne saurait donc lui être étrangère. Par l'action de l'Esprit saint, le Christ peut être inculturé en tous lieux et en tous temps, à travers un processus de purification qui place chaque culture dans la lumière de Dieu. Tout cela justifie une pluralité dans les expressions culturelles du Christ unique, et correspond à la catholicité de l’Église, au fait que la diversité ne s’oppose pas à l’unité. Alors, le fait que le Nouveau Testament ait été fixé en grec importe peu, car le christianisme n’est certes pas une religion du livre. Il n’y a aucune culture privilégiée par principe dans l’Église, même si, de fait mais non de droit, l’Église a utilisé surtout la langue grecque pour exprimer pendant près d’un millénaire les dogmes éclairant la Révélation. Il n’existe pas une culture chrétienne universelle qui devrait s’imposer partout, mais des cultures chrétiennes relatives aux différentes Églises locales. Cette diversité, légitimée par la catholicité de l’Église, se décline non seulement dans l’espace mais aussi dans le temps. La Tradition ecclésiale est une mais les formes qu’elle empreinte évoluent avec la dynamique de l’Histoire du salut. Dans chaque Église locale, la culture chrétienne communautaire se doit d’évoluer formellement pour être toujours en mesure d’assurer sa mission dans la société civile qu’elle porte dans sa prière. Avec le renouvellement des générations, doit se faire un travail incessant d’actualisation créative, de re-réception dans un langage rénové, compréhensible, des différentes expressions du mystère du Christ transmises par la Tradition.

Si l’on se réfère à l’histoire des missions de l’Église orthodoxe, il semble que la rencontre entre l’Évangile et les cultures locales ait donné lieu à quatre types principaux de réaction (7)  :

1. le rejet, lorsqu’il y incompatibilité avec l’Évangile ; 2. la juxtaposition, lorsque deux croyances incompatibles sont juxtaposées sans synthèse et avec peu ou pas d’interaction entre elles ; 3. le syncrétisme, lorsque deux croyances fusionnent entre elles et donnent lieu à une troisième qui est différente de chaque composante initiale ; 4. l’inculturation, lorsque la culture locale est transformée, et que la foi chrétienne non seulement fait partie intégrante de celle-ci mais en devient le principe actif.

Nous devrions à présent, à l’aide de cette typologie, nous interroger sur l’attitude de nos communautés orthodoxes et de chacun d’entre nous face à la culture de la société sécularisée, qui est la nôtre.

Le rejet est un acte délicat qui peut être excessif, notamment dans le refus global de la modernité que l’on observe dans certains courants orthodoxes traditionalistes, mais parfois aussi salutaire quand il s'exerce sur des phénomènes culturels (violence, pornographie, drogue, exploitation des hommes, etc.) qui portent atteinte à la personne humaine et, de ce fait, s’opposent à l’Évangile.

Assez souvent la rencontre entre des éléments de notre foi et des formes culturelles donnent lieu à une juxtaposition assez stérile, suivant une loi de l’inertie spontanée face aux informations dont notre société nous gave quotidiennement. C’est le cas pour la réception du savoir technique et scientifique. Les Pères de l’Église tentaient des synthèses entre le savoir scientifique de leur temps et le donné de la Révélation. Aujourd’hui, on souligne à juste titre, mais peut-être aussi trop facilement, que la science et la foi sont de deux ordres distincts. Mais comment peut se faire en nous l’union entre les deux types de connaissances ? Trop peu d'hommes de science chrétiens ou de théologiens pourvus d'une formation scientifique se risquent à élaborer des synthèses qui tentent par exemple d’établir un lien de compatibilité entre d’une part les résultats de la paléontologie et de la cosmologie et d’autre part la doctrine chrétienne de la chute et de la corruption.

Le syncrétisme est malheureusement une démarche assez répandue dans l’association que font parfois les fidèles entre le donné de la foi chrétienne et des éléments issus des religions orientales, de l’ésotérisme, des sectes en tous genres. Bien des chrétiens, par exemple, considèrent la réincarnation comme une doctrine compatible avec leur foi. Au plan doctrinal, des éléments de gnose sont souvent combinés avec le dogme de la création ex nihilo donnant lieu à la croyance que le monde dans son être intime est un prolongement de Dieu. La question de la rencontre entre la psychologie moderne et la théologie ascétique se pose également : soit il y a rejet de la psychologie chez certains pasteurs avec des conséquences parfois désastreuses pour leurs fidèles, soit, à l’inverse, il peut y avoir confusion entre les plans de la psyché et du cœur spirituel.

Quant à l’inculturation, il n’y a aucun doute que, lorsqu’elle est réussie, elle correspond à l’attitude la plus féconde pour la mission ecclésiale. Le discernement que l'Église doit exercer dans ce processus est capital. Il consiste à s'assurer par la référence aux repères fondamentaux de la Tradition dogmatique et liturgique, que les formes culturelles nouvelles peuvent suivre et respecter la perspective existentielle fondamentale qu’apporte l'Évangile du Christ. On peut rappeler l’événement majeur que fut, à l’époque des Pères, ce qu’on a appelé le « baptême de l’hellénisme », la christianisation de la culture dominante gréco-latine qui se fit de façon complexe et progressive, comme en témoignent notamment les écrits des Pères apologistes du IIIe siècle. Plus tard, l’évangélisation des Slaves au IXe siècle fut aussi un processus d’inculturation assez remarquable.

Dans le nouveau millénaire qui commence, l’Église, si elle ne veut pas trahir son être profond, devra jouer un rôle décisif en dialoguant en profondeur avec la culture ambiante, « en éprouvant tout et en retenant ce qui est bon » (1 Th 5,21).

III. Quels sont les défis qui se posent aujourd’hui à l’Église dans notre société post-moderne ?

1. L’unité des chrétiens

Il semble évident que le premier défi qui se pose aux chrétiens dans le monde actuel est celui de leur unité. Non seulement le Seigneur lui-même nous appelle à l’unité par sa prière au Père à la veille de sa Passion (Jn 17,21), mais il est clair qu’en se présentant en désordre et divisés face au monde, les chrétiens perdent, qu’on le veuille ou non, beaucoup de crédibilité.

Le second millénaire a été une période d’âpres divisions entre les différentes traditions chrétiennes. L’Église orthodoxe a beaucoup souffert de la part de l’Occident chrétien et peine à tirer un trait sur une histoire tragique. Des actes prophétiques de rencontres et de retrouvailles ont cependant toujours eu lieu, et au premier plan la rencontre entre l’Orthodoxie et les chrétiens occidentaux au 20e siècle. Le Conseil Œcuménique des Églises a été fondé en 1948 avec la participation des orthodoxes. En outre, cette année est marquée par le 40e anniversaire de la levée des anathèmes entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe. Il faut espérer que le troisième millénaire verra se poursuivre un dialogue de la vérité qui a pu être lancé sur la base du dialogue de la charité entamé par le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras Ier, même si l’on ressent partout une perte d’enthousiasme dans la poursuite des rapprochements en vue de l’unité.

Il existe aussi souvent, au sein de notre Église, des attitudes affligeantes d’insouciance et de triomphalisme épais. Mgr Séraphin Joanta, métropolite roumain en Allemagne, s’en est ému récemment dans les termes suivants : « Je pense à nous [...] qui vivons confortablement dans notre Église « dépositaire » de la plénitude de la Vérité, avec une tradition mystique digne d’être enviée, sans penser aux autres, sans souffrir de la tragédie que représente la désunion des chrétiens. Bien sûr, devant cet immense drame, chacun est petit et impuissant. Et pourtant, chacun doit porter la responsabilité de ce péché, chacun doit prier, et agir en sorte qu’il soit toujours un facteur d’unité. »(8)

Il est évident que l’Église orthodoxe ne saurait accepter une réunion des chrétiens tant que l’unité dans la foi n’est pas pleinement rétablie, car l’Eucharistie scelle, « confirme notre doctrine », comme le dit saint Irénée de Lyon. Le rassemblement eucharistique qui est le lieu concret de la communion ecclésiale, ne peut se faire qu’entre des personnes conscientes de partager vraiment la même foi, sinon l’Église n’apparaîtrait plus comme l’icône du Royaume. C’est la ligne suivie par Foi et Constitution, le département théologique du COE, où participent toutes les confessions chrétiennes.

Cela dit, en attendant un retour à l’unité qui demandera sans doute encore beaucoup de temps, de prières et de souffrances, un des défis qui se posent aujourd’hui aux chrétiens responsables est d’apparaître le moins divisés possible face au monde. Quelles que soient les responsabilités des uns et des autres, nos déchirements constituent un triste contre-témoignage. Les associations œcuméniques de toutes sortes telles que l’Association Saint-Silouane-l’Athonite ou la Fraternité Saint-Alban-et-saint-Serge ont donc un rôle précieux à jouer.

2. Le dialogue interreligieux

Un des défis importants de l’ère de la mondialisation est plus largement celui de la pluralité religieuse, qui voit le rapprochement et l’intrication d’ères de civilisations jusque-là séparées. Il faut souhaiter, en favorisant un dialogue interreligieux véritable, que l’on n’entre pas dans le « choc des cultures » qu'a prédit récemment un politologue américain.

De façon générale, comment le pluralisme religieux peut-il être envisagé par la théologie orthodoxe ? Il n’existe pas de position officielle de l’Orthodoxie à ce sujet, et l’on trouve les points de vue les plus opposés aussi bien chez les pasteurs que chez les théologiens. La vision exclusiviste qui prévalait naguère posait que le salut n’est possible que pour ceux qui croient en Jésus-Christ. Cependant, à la lumière de l’eschatologie, le métropolite Jean Zizioulas note que, même si « l’Église comme corps du Christ est le seul chemin assuré vers Dieu, [...] c’est seulement lors du Jugement dernier [...] que nous pourrons savoir qui, même parmi les chrétiens, sera sauvé »(9) . Le mystère prévaut donc jusque-là touchant la connaissance de ceux qui appartiennent au Christ.

Un certain nombre de théologiens de la mission, comme l’Archevêque de Tirana, Mgr Anastase Yannoulatos (10) , appellent à reconsidérer la question dans une perspective nouvelle qui s'appuiera sur l’Écriture et les Pères. Saint Paul a célébré la présence cosmique de Dieu en ces termes : « Il n’y a qu’un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tout, à travers tout et en tout. » (Eph 4,6) Les Pères apologistes ont interprété cette péricope de façon trinitaire : le Dieu au-dessus de tout, c’est le Père de tous les hommes ; le Verbe structure tous les êtres, portant en Lui l’intelligibilité de la création ; enfin, l’Esprit Saint est le Souffle qui remplit de vie tous les êtres et les pousse vers leur accomplissement en Dieu. Sans nier que l’Église orthodoxe est le corps du Christ et le chemin du salut, il est ainsi suggéré que Dieu agit de façon mystérieuse en dehors même des limites reconnues de l’Église. L’interpellation du métropolite Georges Khodr aux chrétiens va dans ce sens : « Le Seigneur agit où bon lui semble, et vous n’êtes pas en mesure de limiter son action. Il a promis de vous combler de ses grâces, mais il n’a pas dit qu’il en faisait de vous les seuls dépositaires. Je vous en conjure : ne soyez pas plus royalistes que votre Roi, Lui qui peut « de pierres faire des fils d’Abraham »  ! (Mt 3,9) » (11) .

Dans cet esprit, l’adoption d’une vision de l’Église qui ne fût ni exclusiviste ni relativiste mais proprement inclusive, permettrait de suivre, dans une rencontre avec les autres religions, la démarche inculturative de saint Paul auprès des Athéniens de son temps. Même s’il y a bien sûr dans les autres religions des éléments doctrinaux inassimilables, il n’en reste pas moins que nous trouvons là, dans une perspective proprement chrétienne et nullement syncrétique, une amorce de rencontre qui discerne ailleurs des éléments de vérité et de vie déjà partagés dans l’Église.

Ce dialogue interreligieux devrait permettre d’aborder ensemble les questions brûlantes qui se posent aujourd’hui à l’humanité, quand bien même les réponses de l’Église seront souvent spécifiques. Voyons tout d’abord les défis qui concernent la défense de la personne humaine face aux structures scientifiques ou étatiques.

3. La défense de la personne humaine

a) Défis bioéthiques

Dans la société développée d’aujourd’hui et plus encore dans celle de demain, s’annonce le défi des sciences, et en particulier des sciences biologiques dont les applications deviennent parfois effrayantes. Nous sommes appelés à être présents et actifs de sorte que, à défaut d’obtenir la reconnaissance de sa transcendance, la personne humaine soit respectée. De façon générale, les chrétiens devraient rappeler que tout ce qui est techniquement possible n’est pas nécessairement souhaitable et que les hommes doivent s’imposer certaines limites pour demeurer dans l’humanité.

Se posent, et vont se poser toujours davantage, dans le domaine de l’application des nouvelles technologies biologiques et médicales, des questions qui, jusque-là, ne s’étaient jamais posées à la conscience ecclésiale, et que soulèvent la manipulation du génome humain, l’expérimentation des embryons humains, la procréation médicalement assistée, la transplantation d’organes, l’euthanasie, le traitement de la douleur chez des malades en fin de vie, etc. Il est indispensable que sur toutes ces questions se poursuive dans l’Église orthodoxe une réflexion fondamentale qui ne fait que commencer, entre les biologistes, les médecins, les théologiens et les pasteurs. Rendons ici hommage à une association comme le groupe de bioéthique orthodoxe qui se réunit très régulièrement en France, et mentionner en particulier les travaux du P. John Breck (12).

Chaque vie humaine est d’un prix infini, d’une dignité absolue, même si certaines vies pourraient a priori, par rapport à la personne adulte en pleine santé, sembler d’un moindre prix, ainsi songe-t-on à la vie si fragile de l’embryon, à celle du fœtus malformé, à celle du vieillard qui se meurt d’une maladie irrémissible. Pourtant, confesser que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, c’est admettre que son être biologique est ordonné à la « déification ». Croire que le but de notre vie est de commencer déjà ici-bas à participer à la vie de Dieu, implique que la valeur d’une vie humaine n’est pas mesurable à l’aune de nos sentiments et de nos considérations terrestres, mais dépend finalement de la relation secrète entre la personne et son Créateur. Respecter ce caractère sacré et mystérieux de la personne humaine implique donc le refus des manipulations faustiennes de la vie et de la mort d’êtres humains vulnérables, que ce soit de l’embryon, du vieillard grabataire ou du malade incurable, même au nom des bonnes intentions dont l’enfer est pavé, paraît-il : il convient de trouver une attitude de compassion éclairée par un discernement dans chaque situation concrète.

Nous ne pouvons évidemment pas imposer notre vision anthropologique aux sociétés sécularisées où nous vivons, mais aider, à travers des tribunes et des comités d’éthique où les chrétiens ont ou auront leur place, à mettre en exergue la dignité de la personne humaine, quels que soient son stade de développement biologique, son sexe, son origine ethnique, son statut social.

b) La torture

Il est facile de rappeler la condamnation de principe de la torture, que les Églises proclament depuis longtemps. La question est sa réelle mise en œuvre, en cas de guerre notamment. On pourrait parler de la longue guerre en ex-Yougoslavie ou de celle qui ne dit pas son nom en Tchétchénie. Dans ces conflits, les Églises, souvent bâillonnées par des considérations trop nationales ou politiques, se sont trop peu fait entendre non seulement pour rappeler que la torture ou les exécutions sommaires constituent une négation de la dignité des personnes, tant pour les victimes que pour les bourreaux, mais surtout pour dénoncer les crimes des militaires, donc de l’État, lorsque il y avait lieu de le faire. Il est triste de constater que trop souvent des O.N.G. comme Amnesty International et beaucoup d’autres, tiennent le rôle de conscience morale pour nos sociétés, devant le silence gêné des Églises qui vénèrent pourtant la mémoire d’Ambroise de Milan, de Jean Chrysostome, de Philippe de Moscou (saints qui dénoncèrent la cruauté des puissants). Il faut rendre hommage ici au travail accompli au nom de l’Évangile, depuis 1974, par une association chrétienne œcuménique telle que l’Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture (ACAT) avec des personnes comme le P. Cyrille Argenti ou Élisabeth Behr-Sigel (13).

4. Les défis du politique et du social

a) La question du rapport Église-État

Cela nous conduit à aborder la question du juste rapport à trouver dans la relation entre Église et État. Voici encore un défi important à l’époque de la mondialisation. L’Église, en tant que communauté en marche vers le Royaume, doit préserver une tension nécessaire entre le Royaume de Dieu et celui de César. Elle ne peut certes pas s’engager en politique et il n’existe pas une vision politique chrétienne, mais sans doute diverses manières chrétiennes de s’engager en politique. Quoi qu’il en soit, l’Église ne peut rester indifférente au politique et à l’État dans la mesure où celui-ci vise en principe la recherche du bien commun pour la cité terrestre. Point n’est besoin d’étudier longuement l’histoire de l’Église orthodoxe dans sa complexité pour constater que nous avons hérité de situations historiques où l’Église se voyait mise au service de l’État ou de la nation, avec toutes les ambiguïtés que cela implique. Si l’unité de l’Orthodoxie est si difficile à mettre en œuvre, notamment en Occident, c’est précisément en raison de l’infiltration de l’Église par le phylétisme, les autocéphalies ayant donné lieu à un autocéphalisme qui exalte autant la nation que l’Église du Christ. Mais ici nous en revenons à la question même du rapport Église-monde évoquée plus haut : l’Église doit-elle, en un lieu donné, être au service de la culture ou plutôt la culture au service de l’Église à travers un processus ininterrompu d’inculturation de l’Évangile du Christ ?

Quoi qu’il en soit, le Seigneur a dit : « Mon Royaume n’est pas de ce monde » (Jn 18,36) et « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Lc 20,25).

b) Les défis sociaux

Il faut évoquer aussi la dimension nécessairement sociale de l’engagement des Églises dans le monde. La misère du monde ne se presse pas seulement à nos frontières. La société occidentale apparemment prospère où nous vivons, secrète une pauvreté trop souvent passée sous silence : par exemple 10 % de la population française vit aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté.

Avant, puis pendant la deuxième Guerre mondiale, un groupe de spirituels russes réunis à Paris autour de Mère Marie Skobtsov et du Père Dimitri Klepinine, tous deux récemment canonisés, ont travaillé sans relâche à s’occuper des miséreux non seulement chrétiens orthodoxes mais juifs. Ils ont donné leur vie sans compter et ont montré la grandeur d’un témoignage chrétien authentique et sans compromissions.

Un grand théologien comme Paul Evdokimov qui, après la guerre, s’occupa pendant une vingtaine d’années des réfugiés dans l’association œcuménique de la CIMADE a souligné le témoignage actif que constitue une telle diaconie : « J’étais profondément mis en cause ; les âmes, leur souffrance m’interrogeaient, faisaient de moi un témoin, un confident, un intercesseur. Et dans ma prière, je puisais consciemment dans le sacerdoce du laïcat, dans son charisme, pour mettre dans ma réponse autre chose que de l’humain pur. Le moment était venu [...] de reconnaître en tout visage humain l’icône vivante du Christ. » (14)

Aujourd’hui encore, la misère des réfugiés politiques ou économiques atteint nos portes et nos églises. Même s’il paraît clair que l’on ne peut, de façon raisonnable, encourager les flux migratoires des pays défavorisés vers l’Europe sous peine de désordres publics graves, rien ne devrait empêcher d’aider des réfugiés démunis qui sont considérés comme peu de chose par la société où nous vivons. C’est la question qui se pose à chacun de nous, à chaque paroisse et à chaque diocèse.

5. Le challenge de la crise écologique

Le dernier grand défi — et non le moindre — que nous évoquerons est celui de la crise écologique avec l’épuisement progressif des ressources naturelles, la pollution généralisée, le réchauffement de la planète et ses conséquences (150 millions de réfugiés écologiques dans les décennies à venir), ainsi que la disparition des espèces biologiques et animales, bref une véritable menace pour la survie de l’humanité.

Certains, en m’écoutant poliment, penseront que nous ne sommes pas spécialement concernés puisque c’est le monde entier qui est menacé. Si l’on songe que les chrétiens représentent en gros un tiers de l’humanité et habitent les pays les plus riches et les plus polluants, on ne peut pas considérer que les Églises ne soient pas touchées, puisqu’elles pourraient exercer un poids important dans une prise de conscience plus forte.

On sait que le patriarche œcuménique Bartholomée Ier a pris de nombreuses initiatives en ce domaine, sur les traces du patriarche Dimitrios Ier qui avait lui-même instauré une fête de la Création le 1er septembre. Cependant, ne nous contentons pas de ce qui n’est qu’une amorce, un signe donné pour mobiliser les pasteurs et les fidèles. Dans les paroisses, tant en Occident que dans les pays dits orthodoxes, ne conviendrait-il pas de sensibiliser les fidèles et surtout les jeunes de façon communautaire à une question qui ne relève certes pas d’une obsession de quelques écologistes mais de la théologie de la Transfiguration, et de l’éthique de la personne qui en découle, à savoir : a) respect et amour de la nature qui, sanctifiée par l’incarnation du Verbe, s’est faite la chair de Dieu et est appelée à la Transfiguration, b) limitation volontaire dans la croissance et les besoins, c) lutte contre le gaspillage d’eau et d’énergie, d) nécessité du partage des richesses, etc. Les chrétiens ne devraient pas attendre passivement d’appliquer en ordre dispersé les directives du politique, mais se trouver déjà en première ligne, prompts à agir.

IV. Comment répondre aux défis actuels du monde ?

Pour que l’Église puisse être à la hauteur des défis mentionnés, il semble évident que ses réponses ne peuvent s’inscrire que dans le contexte de son propre renouveau.

1. Un renouveau dans l’expérience de la catholicité

Chacun sait que la longue histoire de l’Orthodoxie est heurtée et tragique : la traversent notamment les invasions arabe, mongole, turque, les croisades, la séparation de l’Église occidentale, les guerres d’indépendance, la révolution russe. De sorte que, comme le constatait le P. Jean Meyendorff, bien que l’Église orthodoxe reçoive toujours une plénitude de vie et de vérité qui vient de Dieu, « les Églises locales sont loin de se conformer partout à cette vie et à cette vérité »(15) . Il en résulte une absence de coopération et d’échanges, des tensions et des crises à répétition entre les différentes Églises autocéphales orthodoxes : celles-ci donnent parfois le sentiment que l’autocéphalie ecclésiale signifie pour elles un isolement. Pourtant, même si une Église locale reçoit la catholicité dans l’Eucharistie, toute posture d’autosuffisance de sa part constitue un déni de la catholicité.

L'orthodoxie mondiale ressemble donc aujourd'hui à une confédération d'Églises qui n'ont guère entre elles d'autre lien que celui de la foi et des sacrements. Aucune structure inter-orthodoxe régulière n'a réussi jusqu'à présent à travailler au quotidien sur les problèmes communs aux Églises, et à délivrer au monde un témoignage unifié de l'Orthodoxie (16) . Cependant, depuis 1961, à l’initiative du patriarcat œcuménique, une dynamique de conciliarité panorthodoxe a permis de réunir quatre Conférences panorthodoxes, suivies de quatre réunions du Comité interorthodoxe préparatoire et de trois Conférences panorthodoxes préconciliaires, pour tenter de préparer la tenue d’un Grand Concile sur les problèmes communs. Cette dynamique s’est enrayée en 1993, après la chute du régime soviétique, lorsque des tensions se sont ravivées entre patriarcats. Rappelons que ces assemblées s’étaient accordées pour traiter principalement des questions jugées brûlantes il y a 30 ans : la diaspora orthodoxe avec le chevauchement de juridictions ethniques, l’autocéphalie, l’autonomie, l’ordre des Églises dans la communion universelle (les diptyques), le calendrier liturgique, l’adaptation des règles du jeûne, la position de l’orthodoxie face aux autres traditions chrétiennes.

Aborder ces questions parmi d’autres permettrait d’amorcer un véritable renouveau. Ce désir n’est pas le fruit de l’air du temps ; beaucoup de pasteurs orthodoxes le jugent urgente depuis longtemps. Le concile de Moscou de 1917-1918, dont l’élan fut malheureusement coupé par la révolution, avait initié dans de multiples domaines une action réformatrice étonnante dont les fruits, à travers la diaspora russe, ont touché une bonne partie de l’Orthodoxie. Evoquons aussi le métropolite saint Chrysostome de Smyrne qui, lui aussi en 1918, 4 ans avant son martyre, soulignait que l’Église orthodoxe avait besoin de réformes et jugeait nécessaire que soient actualisés non seulement l’enseignement théologique et doctrinal, mais le droit canon, la vie liturgique, la musique, la prédication (17) . Presque un siècle plus tard, quelques progrès ont été accomplis dans tous ces domaines, mais on attend qu’une réelle concertation s’instaure partout et qu’un grand concile panorthodoxe permette de s’accorder sur des points d’ancrage indispensables à la vie de millions de fidèles.

2. Un nécessaire renouveau de la conscience théologique

Sans énumérer, faute de temps, les thèmes d’actualité en théologie, je me limiterai à souligner l’urgence d’un approfondissement en ecclésiologie et la nécessité d’un changement d’approche en théologie. La théologie orthodoxe est passée depuis presque un siècle par une période remarquable de renouveau, surtout en Occident, grâce à un abandon des démarches scolaires, qui a permis de retrouver l’orientation foncièrement sotériologique et existentielle des Pères. Cependant, il faut bien admettre que cette rénovation n’a guère touché en profondeur les Églises des pays dits de tradition orthodoxe, ni même leur épiscopat et leurs pasteurs. A la lumière des crises récentes et des tensions qui existent encore souvent entre des Églises sœurs, on constate que les structures ecclésiologiques actuelles sont davantage justifiées par des situations socio-politiques héritées du passé, que par des décisions conciliaires reflétant une théologie. Ainsi le poids de l’histoire écrase-t-il et musèle-t-il la théologie. Or, cet immobilisme est en décalage complet avec le monde à évangéliser.

Par exemple, on est bien forcé de constater que malgré le concert unanime de louanges qui salue le retour à une ecclésiologie centrée sur l’Eucharistie et malgré un renouveau indéniable dans plusieurs Églises autocéphales comme le Patriarcat d’Antioche, cette ecclésiologie n’est généralement pas reçue ni appliquée. On observe des dichotomies affligeantes qui opposent dogme et vie spirituelle, ecclésiologie et droit canon, ou encore théologie et histoire. Le métropolite Jean de Pergame note lui-même en ce sens : « Les évêques sont devenus des administrateurs et c’est presque une disqualification pour eux s’il leur arrive d’être théologiens. Tout cela conduit à une marginalisation de la théologie par rapport à la vie, y compris à la vie de l’Église. »(18)

Il serait souhaitable que les responsables des Églises travaillent à aplanir le clivage inquiétant qui s’est instauré entre d’un côté des théologiens spécialistes du dogme, de l’histoire, etc. mais sans prise sur la vie des Églises, d’autre part des administrateurs d’Églises ou de diocèses qui n’ont pas le temps de se préoccuper de questions théologiques.

Un autre souhait serait d’éviter de faire de notre théologie une arme contre les traditions hétérodoxes avec l’orgueil caché des bien pensants. Il ne s’agit pas de relativiser le dogme, mais de le ramener à sa source vive plutôt que de le réduire à l’instrument d’une logomachie stérile. Or « la vraie théologie, […] nous la trouvons dans la rencontre du Christ et dans la contemplation de son mystère » (19) . Notre travail théologique s’inscrit dans le fleuve d’expérience de la communion des saints et ne peut se limiter à édifier les blindages idéologiques d’un ghetto confessionnel. Si nous confessons la foi orthodoxe, nous devons être plus attentifs à l’incarner en vérité qu’à déceler la paille dans les yeux des frères séparés. Déjà au 2e siècle, la seconde épître du Pseudo-Clément nous avertit : « Les païens qui entendent de notre bouche les paroles de Dieu s’émerveillent de leur beauté et de leur élévation. Mais lorsqu’ils s’aperçoivent que notre conduite ne correspond pas à nos discours, ils éclatent en blasphèmes, nous accusant de ne proférer que fables et sottises. »(20) Ainsi, l’orthodoxie que nous vivons doit-elle être à la hauteur de celle que nous proclamons.

3. Renouveau liturgique

Comme nous l’avons vu, la liturgie n’est pas une évasion hors du monde mais une transformation continuelle de notre vie, en tant que membres du Corps du Christ. Sa célébration doit être ordonnée à son essence profonde. Or il nous faut admettre que bien souvent, l’Eucharistie n’est plus perçue comme une icône du rassemblement des derniers jours autour du Seigneur qui vient, mais comme une chose sacrée qui comble une piété individuelle, comme un moment d’évasion où le fidèle se réfugie en Dieu. La signification des gestes, des signes, des paroles des offices, souvent même de la langue, pose difficulté. Beaucoup de fidèles et de pasteurs, confondant Tradition et pétrification, considèrent la liturgie comme un bloc intangible, alors qu’une actualisation avisée dans le mode de célébration serait la bienvenue comme il s’en est fait à toutes les époques. La vie liturgique ne devrait-elle pas en tous cas s’accompagner d’un effort de catéchèse qui insiste sur la signification théologique des offices ?

4. Quelle présence pour l’Église dans le monde d’aujourd’hui ?

Il semble aujourd’hui bien difficile de rechristianiser en profondeur la société sécularisée d’Occident où les chrétiens conscients ne sont plus majoritaires, et où les orthodoxes constituent une micro-minorité. Néanmoins, l’Orthodoxie se doit d’être fidèle à sa mission, toujours en dialogue avec les autres Églises. Son témoignage ne peut se faire que selon deux modalités complémentaires : 1. à partir de communautés eucharistiques qui rayonnent, 2. à travers une présence prophétique dans le monde.

a) Des communautés eucharistiques rayonnantes

La réponse aux défis lancés à l’Église par le monde actuel ne peut venir fondamentalement que des communautés eucharistiques elles-mêmes où l’Église se manifeste en plénitude.

Dans la culture ambiante anthropocentrique et individualiste, seule une affirmation claire de l’Évangile, vécu sans compromis, peut offrir une réponse aux attentes presque inconscientes qui habitent les cœurs de nos contemporains. La mission devrait avoir pour point de départ des espaces communautaires socialement bien implantés, soudés et visibles, élaborant une culture chrétienne ouverte, nourrie de l’Évangile, de la Liturgie et de la Tradition ecclésiale, attentive au langage, à la culture et aux interrogations de nos contemporains.

La Weltenschauung de l’Orthodoxie, c’est la liturgie. Le premier espace naturel de préparation à la mission est donc la paroisse. Le témoignage premier de l’Église comme communauté eucharistique est d’être un signe, un sacrement de la vie divine reçue du Christ ressuscité, avant même que soit envisagée quelque action que ce soit dans le monde (21) . Nos paroisses doivent donc demeurer des lieux ouverts et accueillants. C’est d’abord dans la paroisse que peut se vivre la catholicité dans l’unification de tous en Christ à la table eucharistique, si bien que la catholicité peut rayonner aussi dans le monde. « Seule la vie de la paroisse, note Christos Yannaras, peut fournir une dimension sacerdotale à la politique, un esprit prophétique à la science, une attitude philanthropique à l’économie, un caractère sacramentel à l’amour. » (22)

Les monastères comme lieu de ressourcement et de témoignage ont aussi un grand rôle à jouer. Les moines sont appelés à témoigner de la venue du Royaume de Dieu, en vivant dans un repentir continuel la réalité du Vieil homme déchu qui gîte en nous, mais en vivant aussi dans l’humilité et la joie la réalité nouvelle du salut en Christ. Par leur dépouillement et leur disponibilité à Dieu et au prochain, les moines portent un témoignage évangélique tant à l’intérieur de l’Église que dans la société où ils doivent apparaître comme des énigmes. Ils sont les témoins de l’amour de Dieu et de la gratuité de la foi, dans un monde obsédé par l’utilitarisme et l’activisme. Ceux qui ne sentent pas vraiment l’utilité des moines dans l’Église devraient méditer l’épisode évangélique de Marthe et Marie, et noter qui des deux sœurs a reçu la meilleure part.

Enfin les groupes de rencontres, de pèlerinage, les associations et confréries comme l’ACER-MJO ou la Fraternité orthodoxe qui a organisé ce grand congrès, ont un précieux rôle à jouer en aidant les fidèles à prendre conscience du fait que l’Église est catholique, conciliaire parce qu’eucharistique. Cela aide chacun à sortir de la routine, de l’esprit de clocher, du phylétisme, et à discerner sa vocation particulière dans l’Église et dans la société. Des associations comme la Fraternité orthodoxe, ou encore Syndesmos au niveau mondial, contribuent à raviver la catholicité de l’Église qui est un don du Christ non seulement à recevoir mais à mettre en œuvre.

b) Une présence prophétique dans la société sécularisée

Comme le souligne Olivier Clément : « Les chrétiens peuvent, avec une humble force, susciter un certain sens, un certain feu, une certaine lumière. S’ils ne le font pas, s’ils ne savent pas trouver leur place dans la société sécularisée, ce sera laisser la place aux pseudo-religions. » (23) En puisant son énergie dans le foyer eucharistique, source première de la mission, il semble que l’Église pourrait réaliser son travail de témoignage d’une manière diversifiée, selon les situations et les charismes du peuple de Dieu, en agissant dans certains cas comme un corps uni, tandis que dans d’autres, des groupes ou même des personnes seraient appelées à œuvrer au nom de tous. Ni le communautarisme fermé ni le piétisme individualiste ne seraient appropriés pour une telle mission. Seules des personnes en communion peuvent rayonner, et leur témoignage prendra une forme prophétique par une parole ou une œuvre d’éveil qui « fasse la vérité », ou par des actions concrètes qui mettent l’Évangile en actes.

1. Récemment le philosophe agnostique Régis Debray, lors d’une rencontre interreligieuse organisée par la communauté Sant’Egidio à Aix-la-Chapelle, s’adressait ainsi aux représentants des grandes religions : « Nous vous demandons d’abord de nous réveiller. Nous avons besoin d’ouvrir les yeux sur le monde tel qu’il est : injuste, dangereux et peu évangélique. [...] Nous avons trop de gestionnaires et pas assez de prophètes. [...] Les paroles de vérité cherchent un asile. » (24)

Présents dans la culture et les medias, littérature, arts, cinéma, toutes les formes de création, mais aussi dans les forums scientifiques, le monde universitaire ou politique et tous les espaces de dialogue, les chrétiens sont appelés à témoigner avec discernement, c’est-à-dire dans un langage qui soit accessible et compréhensible à nos contemporains. Toute la difficulté est précisément là : se plier à une certaine acculturation, c’est-à-dire une adaptation à la culture de l’autre, qui nous permette de parler sa langue.

2. Un autre mode de présence de l’Église dans le monde est celui que réalisent ses membres lorsqu’ils s’engagent au service du prochain en coopérant avec tous les hommes de bonne volonté.

Nous sommes en effet appelés, comme le dit si bien Mgr Georges Khodr, à nous jeter avec la force de l’amour dans la mêlée des hommes, au milieu des problèmes de ce monde. La réussite du témoignage des chrétiens réside, écrit-il, « dans cet effacement, dans cet élan perpétuel qui [nous] fait ouvrir les limites de l’Église aux nouveaux horizons de [notre] témoignage sacrificiel »(25) . Beaucoup de chrétiens isolés dans l’accomplissement d’une vocation particulière mais soutenus par leur communauté, peuvent ainsi réaliser une véritable diaconie en témoignant de l’Église et du Christ qu’ils portent en eux. Evoquons, parmi d’autres, une association remarquable comme Montgolfière à Paris, où l’on trouve, entre autres, de nombreux chrétiens poursuivant un travail difficile pour accueillir et aider des réfugiés politiques, hommes et femmes, qui ont tout perdu et tentent de recommencer une vie.

Au fond, chaque chrétien, au terme de la Liturgie eucharistique, est appelé à rayonner le Christ à travers ses activités dans le monde, qui devraient constituer une « liturgie après la Liturgie ». D’abord témoigner la joie et la confiance en l’avenir, puisque le Christ est ressuscité, ensuite montrer un intérêt réel pour tous ceux et celles qui nous environnent. Il s’agit d’un effort continuel pour aider les personnes humaines à se libérer des situations d’injustice, de servitude, d’angoisse et de solitude, en suscitant la communion des personnes. Il ne faut pas oublier que chaque fidèle orthodoxe a reçu lors de son baptême la triple dignité de roi, prêtre et prophète, étant ordonné par l'onction de la chrismation – "sceau du don du Saint-Esprit" –, et qu’il est donc appelé à témoigner du Christ dans son entourage, à défaut de partir au loin comme l’Apôtre Paul.

Conclusion

Comment conclure provisoirement sinon par cette annonce de l’Apocalypse : « Voici, je fais toutes choses nouvelles » ? L’Église en laquelle nous croyons, dont nous sommes membres, et dont nous favorisons la croissance peut nous apparaître comme cette femme âgée au visage toujours jeune dont parle, au IIe siècle, le Pasteur d’Hermas. Mais à travers l’Église, c’est finalement le monde entier lui-même que Dieu renouvelle pour le préparer aux noces de l’Agneau, au grand mystère « caché depuis la fondation du monde » (Mt 13,35). Et ce renouvellement, Dieu veut l’accomplir avec nous, avec son peuple.

Dès lors, le défi qui est lancé à l’Église, en ce début de 3e millénaire où nous voyons le monde engagé dans une mutation irréversible, nous concerne tous, à la fois collectivement et personnellement. Chacun d’entre nous, en tant que baptisé membre du peuple de Dieu, est appelé à œuvrer pour rendre présente l’Église dans son cœur, dans sa famille, à son travail, bref dans sa vie entière, et tout cela à partir de sa communauté eucharistique où il puise la vie en Christ : ainsi l’Église sera-t-elle un peu plus manifestée dans le monde. La référence au passé, aux racines nationales, aux atavismes familiaux, qui nous est si chère dans l’Orthodoxie, n’a finalement qu’une importance relative sub speciae æternitatis : elle n’a de prix que si nous savons en faire l’offrande à Dieu, car c’est cela même « faire eucharistie »  ! ; alors tout apparaît transfiguré, beaucoup de scories se détachent, et il ne reste plus que la saveur de l’Évangile dans le souffle vivant de la Tradition et le parfum du Royaume qui vient.

Ce texte de Michel Stavrou paraîtra en édition papier dans Contacts
revue française de l'Orthodoxie

(1) Aram Ier, Rapport du modérateur, Comité central du COE, Document GEN 2, août 2002, § 3.4.

(2) Cf. D. Werner, « Chacun cherche sa foi », Elle, 3120, 17 oct. 2005, p. 104.

(3) Cf. L. Ferry - M. Gauchet, Le Religieux après la religion, Paris, éd. Grasset, 2004.

(4) Cité in O. Clément, Dialogues avec le patriarche Athénagoras, Paris, éd. Fayard, 1976, p. 161.

(5) Cf. Justin, 1 Apol. 46,3 (PG 6, 397C).

(6) Cf. Métropolite Jean (Zizioulas), « L’Église orthodoxe et le troisième millénaire », Supplément du SOP n° 244, Document 244.B, janvier 2000, p. 7.

(7) Cf. St. Hayes, « Witchcraft and Death : Inculturation and Orthodox mission », Theandros, An online Journal of Orthodox Christian Theology and Philosophy, vol. 1, n° 1, Fall 2003 (http://www.theandros.com/witchcraft.html).

(8) Mgr Séraphin JoanTa, « Quelques pensées sur le dialogue œcuménique », inédit, p. 2.

(9) Métropolite Jean (Zizioulas), « L’Église orthodoxe et le troisième millénaire », Supplément du SOP n° 244, Document 244.B, janvier 2000, p. 10.

(10) Cf. Archbishop Anastasios (Yannoulatos), Facing the World, Genève, WCC Publications, 2003, p. 127-153.

(11) Cf. Mgr Georges Khodr, L’appel de l’Esprit. Église et société, Paris-Pully, éd. du Cerf / Le Sel de la terre, 2001, p. 7-11.

(12) Voir notamment J. Breck, « Défis bioéthiques dans un monde post-moderne », Supplément du SOP n° 300, Document 300.B, juillet-août 2005.

(13) Certaines furent spectaculaires, comme la campagne en faveur de la libération d’Alexandre Ogorodnikoff, en 1987, qui avait réuni plus de 150 000 signatures.

(14) P. Evdokimov, « Quelques jalons sur un chemin de vie », Le Buisson ardent, coll. Bible et vie chrétienne, Paris, 1981, p. 17.

(15) Cf. J. Meyendorff, L’Église orthodoxe hier et aujourd’hui, Paris, 19952, p. 186.

(16) La seule organisation qui ait réussi à instaurer des relations durables et organiques entre les Églises orthodoxes répandues dans le monde est la fédération des mouvements de jeunesse orthodoxe, justement nommée Syndesmos (le Lien), qui, depuis un demi-siècle, œuvre en faveur d'une conciliarité inter-orthodoxe. Malheureusement, cet engagement se heurte souvent au silence feutré et à la lenteur des chancelleries patriarcales.

(17) Cf. D. Constantelos, « The Task of Orthodox theology today », GOTR, 17, Spring 1972, p. 17.

(18) Métropolite Jean (Zizioulas), « L’Église orthodoxe et le troisième millénaire », Supplément du SOP n° 244, Document 244.B, janvier 2000, p. 4.

(19) O. Clément, ibid., p. 248.

(20) 2 Clément 13,3.

(21) Cf. « Lutte pour la justice et unité de l’Église » [Consultation orthodoxe missionnaire, Crète, mars 1975], Contacts, 92, 1975/4, p. 411.

(22) Cf. Ch. Yannaras, « L’orthodoxie et l’Occident », Eastern Churches Review, 3, 1971, p. 299-300.

(23) O. Clément, « Témoigner dans une société sécularisée », Supplément du SOP n° 130, juillet-août 1988, p. 3.

(24) Cf. R. Debray, « Entre guerre et paix, les religions et les cultures se rencontrent », Aix-la-Chapelle, 7 septembre 2003 (http://www.santegidio.org/uer/2003/int—598—FR.htm).

(25) Cf. Mgr Georges Khodr, L’appel de l’Esprit. Église et société, Paris-Pully, éd. du Cerf / Le Sel de la terre, 2001, p. 7-11.

 

 

 

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