On a commencé ce cycle annuel par des écrits sur la liturgie eucharistique, on peut le conclure de la même façon.
Saint Maxime le Confesseur (580-662) participa aux querelles christologiques de son époque et y gagna d’être martyrisé. Il écrivit sa « mystagogie » (c’est-à-dire « l’introduction aux mystères ») à la demande, sans doute, d’un groupe de moines. Plus qu’une explication, cet ouvrage se présente comme une série de méditations sur la manière de vivre la liturgie eucharistique. Notons que l’on peut deviner une très grande parenté de formes entre cette liturgie du 7° siècle et celle que nous pratiquons.
On pourra trouver à certains moments la démarche de l’auteur un peu scolaire. Mais saint Maxime était un profond penseur et un grand spirituel. Il présente les rites non pas comme des allégories, mais comme des symboles. C’est-à-dire qu’ils doivent être pleinement vécus et pas seulement regardés et que leur signification est inépuisable.
Ce texte est touffu et parfois elliptique. On s’est permis ici, pour en faciliter la compréhension, de l’aérer et d’en compléter certaines phrases, plus que ne l’avait déjà fait la traductrice
Remarques de vocabulaire : la « synaxe » est ici la liturgie eucharistique. Le « Grand Prêtre » est l’évêque : Maxime décrit une liturgie « normale », c’est-à-dire célébrée par l’évêque, bien qu’à son époque aient déjà existé des paroisses desservie par des prêtres qui célébraient seuls, à la place et au nom de l’évêque. Les « choses intellectuelles » sont ici tout ce qui relève du spirituel, qui n’est pas perceptible par les sens corporels.
La division entre « croyants », « pratiques » et « gnostiques » est classique dans le langage ascétique et correspond à des niveaux de progrès spirituel.
Les pratiques sont les croyants qui ont commencé à mettre en œuvre les préceptes évangéliques.
Les gnostiques sont ceux qui commencent à participer à un début de connaissance (gnose) des choses divines. À ne pas confondre avec les hérétiques qui s’appelaient, très immodestement, ainsi et qui considéraient que la gnose s’acquiert, alors que les Chrétiens la considèrent comme un don (« la connaissance selon la grâce », précise l’auteur à la fin de cet extrait).
C’est ce que nous enseigne aussi la liturgie lorsque, dans la prière d’avant l’Évangile, le prêtre demande au Seigneur « de faire luire dans nos cœurs la lumière de la connaissance ».
Une manière de contempler les rites de la synaxe : méditer sur la réalisation de la grâce du salut par l'Esprit
En procédant par ordre et méthode de ce qui est proche jusqu'à la fin de toutes choses, [la synaxe] réalise ceci en eux [les fidèles].
Au moment de la première entrée : le rejet de l'incrédulité et l'augmentation de la foi, la diminution du vice et la croissance de la vertu, la disparition de l'ignorance et le développement de la connaissance.
Par l'écoute des saintes paroles [les prières en général] : les comportements et les dispositions fermes et inébranlables de ce dont on vient de parler, je veux dire la foi, la vertu et la connaissance, par les divins chants qui suivent, le consentement volontaire de l'âme aux vertus et, à leur suite, la jouissance et la délectation spirituelles qu'ils y font naître. Par la lecture sacrée du saint Évangile : la fin de la mentalité terrestre, comme celle du monde sensible, par la fermeture des portes qui survient ensuite, le transfert et le passage de l'âme, selon sa disposition, de ce monde corruptible au monde intelligible, grâce à quoi, après avoir clos les sens comme des portes, elle les purifie des fantasmes du péché.
Par l'entrée des saints mystères : la doctrine et la connaissance plus parfaite, plus mystique et nouvelle sur l'économie de Dieu à notre égard. Par le divin baise, une pensée commune, une volonté unanime et un même amour de tous envers tous et d'abord de chacun envers soi-mêmeet envers Dieu.
Par la confession du symbole de la foi : l'action de grâces [l’anaphore] qui correspond aux modes extraordinaires de notre salut, par le Trois fois saint, à la fois l'union et l'égalité d'honneur avec les saints anges, ainsi que l'accord des voix qui, vigoureusement et sans trêve, célèbrent en chantant la sainteté de Dieu.
Par la prière, par laquelle nous sommes jugés dignes d'appeler Dieu notre Père : l'adoption tout à fait réelle dans la grâce du Saint-Esprit.
Par [la proclamation du] Un seul saint et par ce qui la suit : la grâce et la familiarité qui nous unissent avec Dieu lui-même.
Par le partage des mystères immaculés et vivifiants : la participation à la communion avec lui et à son exacte similitude à laquelle l'homme peut accéder grâce à une exacte ressemblance ; grâce à elles, de l'homme [qu'il est], il est jugé digne de devenir Dieu.
Les différents modes de participation aux dons divins
Car ces dons de l'Esprit-Saint, nous croyons y avoir part ici même pendant la vie présente par la grâce de la foi ; et dans le temps à venir, nous croyons que nous y aurons part en vérité, de manière tout à fait substantielle, dans la réalité même, selon l'espérance indéfectible de notre foi et la promesse sûre et inébranlable de celui qui l'a donnée, si nous avons gardé les commandements autant qu'il est possible ; nous croyons que nous y aurons part lorsque nous passerons de la grâce de la foi à la grâce de la vision, c'est-à-dire lorsque notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ nous transformera en lui-même en enlevant les stigmates de la corruption qui nous marquent et qu'il nous fera don des mystères qui nous ont été préfigurés à travers les symboles perceptibles dès ici-bas.
Une autre manière de contempler les rites de la synaxe : du point de vue général et du point de vue particulier
Pour en faciliter la mémoire, si vous voulez, nous allons récapituler ainsi le sens de ce qui vient d'être dit en le parcourant rapidement.
Tout d'abord donc, la sainte Église est la figure et l'image de Dieu parce que l'unité sans confusion qu'il réalise, selon sa puissance et sa sagesse qui sont infinies, à l'égard des différentes essences des êtres comme créateur puisqu'il les maintient au plus haut point en lui-même, elle, elle la réalise selon la grâce de la foi envers les croyants : tous ceux qui croient, elle les rassemble les uns aux autres dans l'unité selon la grâce de la foi et le titre de croyant, ceux qui mènent une vie pratique et vertueuse, selon une identité de sentiments, et ceux qui sont contemplatifs et qui ont la connaissance en plus, selon une infrangible et indivisible concordance de pensée.
Du monde, l'intelligible comme le sensible, elle est la figure puisqu'elle a le sanctuaire comme symbole du monde intelligible et la nef comme symbole du sensible.
De l'homme ensuite, elle est l'image puisqu'elle imite l'âme grâce au sanctuaire et qu'elle représente le corps grâce à la nef.
De l'âme elle-même, considérée en elle-même, elle est la figure et l'image puisqu'elle comporte l'éclat du contemplatif grâce au sanctuaire et la belle allure du pratique grâce à la nef.
De la synaxe qui s'y accomplit, la première entrée manifeste, d'un point de vue général, la première venue du Christ notre Dieu ; d'un point de vue particulier, la conversion de ceux qui sont introduits, grâce à lui et avec lui, de l'incroyance à la foi, du vice à la vertu et de l'ignorance à la connaissance.
Les lectures qui suivent [la première entrée], d'un point de vue général, indiquent les volontés et les décisions divines selon lesquelles il faut que tous soient formés et se conduisent ; d'un point de vue particulier, chez les croyants, l'enseignement et le progrès dans la foi, chez les pratiques, la ferme disposition dans la vertu selon laquelle ils résistent courageusement et sans broncher aux artifices du diable (Ep 6, 11) et échappent aux influences ennemies lorsqu'ils suivent la loi divine des commandements, et chez les gnostiques, le comportement ferme dans la contemplation, selon lequel ils sont conduits sans erreur à la vérité lorsqu'ils recueillent de leur mieux les raisons spirituelles des choses sensibles et celles de la Providence à leur égard.
Les divines mélodies des chants indiquent la jouissance et la délectation divines qu'elles font naître dans les âmes de tous ; leurs âmes en étant mystiquement fortifiées, ils oublient les fatigues passées de la vertu et ils retrouvent leur jeunesse en présence du vigoureux désir des biens divins et incorruptibles qui leur manquent encore.
Le saint Évangile, d'un point de vue général, est symbole de la fin de ce monde présent ; d'un point de vue particulier, il manifeste chez les croyants, la disparition complète de leur égarement originel, chez les pratiques, leur mortification et la fin de la loi de la chair comme de sa mentalité, et chez les gnostiques, le rassemblement des nombreuses et différentes raisons et leur élévation vers le Verbe qui les embrasse totalement puisque la contemplation naturelle la plus large et la plus variée a trouvé en eux son achèvement et son terme.
La descente du grand-prêtre de son trône et le renvoi des catéchumènes, signifient, d'un point de vue général, la deuxième venue - du haut des cieux -« de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ » (Tt 2, 13), la séparation des pécheurs d'avec les saints et la juste rétribution pour le mérite de chacun ; d'un point de vue particulier, chez les croyants, l'assurance parfaite dans la foi que réalise Dieu le Verbe invisiblement présent parmi eux, grâce à quoi, toute pensée qui chancelle encore un peu par rapport à la foi est expulsée hors d'eux à la manière d'un catéchumène ; chez les pratiques, l'impassibilité parfaite grâce à laquelle toute pensée passionnée et non-illuminée est mise à l'écart de leur âme ; chez les gnostiques, la science qui comprend tout ce qui est connu, grâce à laquelle toutes les images des choses matérielles sont chassées de l'âme.
La fermeture des portes [de l’église], l'entrée des saints mystères, le divin baiser et la proclamation du symbole de la foi, d'un point de vue général, indiquent la fugacité des réalités sensibles, la manifestation des réalités intelligibles, l'enseignement nouveau du divin mystère qui nous concerne, et l'accord de pensée, la volonté unanime, l'amour, leur exacte similitude – de tous envers tous, et même de chacun d'eux envers lui-même et envers Dieu – et l'action de grâces pour les modes par lesquels nous avons été sauvés.
Méditation des rites et progrès spirituel
D'un point de vue particulier, chez les fidèles, [ces rites indiquent] le progrès de la simple foi à l'enseignement des dogmes, à l'initiation, à une même expression de la foi et à la piété ; le premier étant signifié par la fermeture des portes, le second par l'entrée des saints mystères, le troisième par le baiser et le quatrième par la proclamation du symbole.
Chez les pratiques qui ont fermé leurs sens et qui sont hors de la chair et du monde grâce au rejet des opérations qui s'y rapportent, [ces rites indiquent] le passage de l'action à la contemplation, l'ascension du mode des commandements à leur raison, l'affinité et l'union connaturelles des commandements avec les puissances de l'âme lorsqu'on considère les raisons spécifiques de ces commandements, et le comportement stable qui convient à l'action de grâces théologique.
Chez les gnostiques, [ces rites indiquent] le passage de la contemplation naturelle à la saisie simple des réalités intelligibles – selon laquelle ce n'est plus du tout par la perception sensible, ou par quoi que ce soit d'apparent, qu'ils poursuivent le Verbe divin et indicible –, l'unification de ses propres puissances de l'âme avec elle-même et la simplicité qui embrasse, selon l'intellect la raison de la divine Providence en une unité.
L'incessante doxologie par laquelle les saints anges répètent sans fin « Saint, Saint, Saint » signifie, du point de vue général d'abord, que les puissances célestes et terrestres partageront dans le siècle à venir, simultanément et en tout, la même citoyenneté, la même conduite et le même chœur de la divine doxologie, le corps étant devenu immortel par la résurrection alors ce dernier n'alourdira plus l'âme par la corruption et il n'en sera plus alourdi (cf. Sg 9, 15) mais qu'il aura acquis la possibilité et l'aptitude d'accueillir la venue de Dieu, grâce à sa transformation dans un état incorruptible.
D'un point de vue particulier [elle indique], chez les fidèles, leur compétition avec les anges à la théologie dans la foi ; chez les pratiques, la splendeur de leur vie et l'ardeur de leur célébration théologique à l'égal des anges, dans la mesure où les hommes peuvent y parvenir ; chez les gnostiques, les pensées, les hymnes et l'éternel mouvement autour de la Divinité comme chez les anges, autant que les hommes le peuvent.
La bienheureuse invocation du Grand Dieu et Père, la proclamation du Un seul saint et des [prières] qui suivent, et la communion aux saints et vivifiants mystères, manifestent ce qui aura lieu au-dessus de tout, pour tous ceux qui en seront dignes : grâce à la bonté de notre Dieu, l'adoption, l'unité et la familiarité, la divine similitude et la divinisation ; grâce à quoi, Dieu en personne sera « tout en tous » (1 Co 15, 28) les sauvés, brillant selon la causalité, en tant qu'il est la beauté archétypale, pour tous ceux qui, par la vertu et la connaissance selon la grâce, brillent de même avec lui.
Mystagogie, Éd. Migne, coll. Les Pères dans la foi
traduction M-L Charpin-Ploix, pp 138-145.