Isaac le Syrien

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Saint Isaac le Syrien (v640-v700)

saint Isaac vécut au milieu du viie siècle. Il appartenait à l’Église non-chalcédonienne que l’on appelle « syro-orientale ». Il préféra l’état de moine strictement reclus à l’épiscopat. On possède de lui deux séries de « discours ». Ces derniers sont des recueils de sentences, mais surtout des catéchèses comparables à celles que prononçaient pour leurs moines des higoumènes tels que saint Basile le grand, saint Théodore Studite et bien d’autres. Notre auteur les présente cependant comme des « aides mémoire» destinés avant tout à son usage personnel. C’est fort peu probable et ce serait un très rare exemple de ce type d’écrit avant les temps modernes. Il est vraisemblable qu’il ait accepté par charité de faire profiter les autres de son expérience, mais que par humilité il ait refusé de se présenter comme un guide spirituel. Ces écrits furent redécouverts au xixe siècle, essentiellement par les spirituels russes qui la firent connaître universellement.
Saint Isaac traite ici de l’un des nombreux paradoxes que le chrétien doit affronter et dépasser. En effet chacun doit réfléchir sur les rôles respectifs, dans son progrès spirituel, de la grâce divine et de l’effort personnel (que notre auteur appelle ici « ouvrage » ou « labeur »). L’histoire de l’Église nous montre que l’équilibre entre les deux pôles est délicat à trouver. Les tendances appelées « messalienne » en Orient et « pélagienne » en Occident exagèrent le rôle de l’effort personnel (prière ou ascèse corporelle). D’un autre côté, on accusa certains hésychastes en Orient et les « quiétistes » en Occident de dédaigner cet effort personnel. Et il faut savoir que, au xvie siècle, le Luthéranisme et la Réforme protestante eurent pour principale origine ce débat, beaucoup plus que des questions de discipline ecclésiastique.
Avec beaucoup de finesse Saint Isaac montre que la solution réside dans la recherche d’une véritable humilité, qui permet de ne pas négliger les œuvres, tout en les laissant à leur place par rapport à l’accueil de la grâce. En fait le texte ci-dessous est un commentaire de la parole « les publicains et les prostituées vous précéderont dans le royaume des cieux » (Matth.21, 30-32), sous entendu : s’ils se repentent et que vous-mêmes mettez trop de confiance dans vos œuvres. Cette humilité retient aussi de juger son prochain (« ne jugez pas afin que vous ne soyez point jugés » :Matth. 7, 1 et passages parallèles), car « l’exploit » ascétique peut devenir source d’orgueil. Elle est donc essentielle pour préserver la charité. C’est pour souligner ce point que saint Isaac réunit ces deux développements dans un même « discours ».
C’est aussi parce qu’il écrivait pour des moines qu’il met en garde contre les « pensées » et les « suggestions ». Celles-ci, sans être fondamentalement mauvaises, peuvent pourtant être le principal véhicule de la tentation pour des personnes qui se sont isolées du monde. Mais ces remarques sont essentielles pour les chrétiens de tous les états ; et peuvent même représenter les fondements d’une véritable psychologie chrétienne.

Michel Feuillebois

Ne t'appuie pas sur ton savoir personnel, afin de ne pas être abandonné aux mains des démons, qui te conduiraient dans leurs pièges inextricables, et t'envelopperaient de terreur, jusqu'à te rendre complètement confus, ne sachant même plus où tu te trouves.

Ne lève pas le pied pour la marche, sans avoir prié auparavant, particulièrement si le chemin est obscur. Que la supplication ne quitte pas ta bouche, et joins-y la confession de ta faiblesse et de ton ignorance. Tu seras ainsi soutenu parla miséricorde, au moins grâce à ton humilité, même si tu n'en es pas digne. Là où l'œuvre fait défaut, l'humilité et l'action de grâces sont pleinement accueillies à leur place par Dieu, et celui qui s'humilie recevra une récompense pour un geste qu'il n'a pas su poser.
Celui qui se tient dans l'humilité, parce qu'il a manqué à ce qui était demandé, est davantage aimé par Dieu que celui qui pense lui faire une faveur par ses nombreuses œuvres. Mais celui qui possède à la fois les œuvres et l'humilité a installé deux grands luminaires au-dedans de lui, auprès desquels son âme trouve ses délices, et il fait en tout temps la joie de Dieu.
Là où l'ouvrage fait défaut, la qualité de l'humilité comblera ce manque. La puissance, grâce à laquelle l'humilité est en mesure de contrôler l'âme, consiste dans le brisement produit par les labeurs spontanés, qui naissent du souvenir des péchés commis. Sans ce brisement (du cœur), il n'est pas possible d'échapper aux péchés de tous les jours, ni de recevoir le pardon de ceux commis auparavant. Mais même si l'on ne pratique guère de labeur, il est toujours possible de se sentir affligé dans sa Pensée, de se souvenir continuellement de ses péchés, d'avoir une basse opinion de soi devant Dieu, d'être paisible et semeur de paix parmi les autres, d'honorer tout le monde, d'être recueilli en soi-même, de rire rarement, de ne pas être bavard, d'avoir une bonne parole pour tout le monde, de rendre grâces dans son cœur au milieu des épreuves, de garder un silence sage et des membres bien rangés, et de se souvenir que, quoi qu'il arrive, l'on est mortel et qu'il faudra (un jour) quitter ce monde. Toutes ces choses ne demandent pas obligatoirement du labeur corporel, mais elles sont l'orne¬ment de la Pensée.
Mais celui qui néglige même ce qui ne demande pas de labeur corporel, ni ne suppose la peine ou la vigueur du corps, mais qui peut être acquis même par quelqu'un de faible, celui-là s'est laissé aller à la négligence de sa Pensée, et sera justement blâmé par Dieu. Dieu n'a pas besoin d'un ouvrage qui soit imposant, comme il a besoin de l'excellence du désir. Car Dieu ne distingue pas une âme vertueuse à partir de ses œuvres, mais à partir de l'excellence de son désir orienté vers lui, et à partir d'un cœur qui sans cesse se repent. Tout comme il ne reconnaît pas le pécheur à partir de ses actes. Les actions sont souvent empêchées par les circonstances, tout comme nombre d'actions bonnes et mauvaises sont accomplies malgré leurs acteurs. Dieu regarde plutôt le désir de la volonté, et voit en quoi celui-ci prend plaisir. La qualité de l'âme lui suffit, même sans œuvres, s'il est impossible de les accomplir. […]
Prends soin de tes pensées, et ne les dirige pas sur les autres. Ne tiens aucun homme pour mauvais, car à un autre moment, tu verras différemment celui qui te semble mauvais aujourd'hui. Ne poursuis donc pas des suggestions qui semblent te révéler leurs intentions, car dès que l'amour est présent, celui-ci cache même leurs fautes ; mais l'absence d'amour pro¬vient des ténèbres de l'âme.
Celui qui n'aime pas son prochain, mais prétend aimer Dieu, se trompe sans le savoir. Il n'y a rien qui excite autant la colère de Dieu, et qui l'irrite, que quelqu'un qui, assis dans sa cellule, pense à son compagnon et transforme sa cellule en une cour de justice, lui-même jouant au juge et condamnant les défaillances des autres. Alors que lui se considère comme un converti et qu'il répète dans sa prière : « Pardonne-moi comme j'ai pardonné. »
Si celui qui juge ceux qui l'offensent encourt pour lui-même une sévère condamnation devant la justice de Dieu, quel ne sera pas notre sort, nous qui jugeons même des actes éloignés. Si ta conscience ne peut pas voir ni supporter les défaillances et les faiblesses des autres, pars donc ailleurs ! Comment est-il possible de tenir tous les hommes pour bons, si la quiétude nous fait défaut ?
Sois instrument de paix et reste humble afin d'être plein de miséricorde pour tous. Les circonstances extérieures (telles qu'on les voit) changent avec l'activité du cœur, selon que celle-ci est orientée vers le bien ou vers les tentations. Ne sois pas réprobateur ni redresseur des torts des autres. Ne te laisse pas dominer par un zèle mauvais qui agite ton âme. Celui qui est rempli d'un tel zèle et dont la Pensée s'agite continuellement au sujet des autres ne sera jamais digne de cette paix spirituelle dans laquelle s'ébranlent les intuitions sur la douceur que Dieu déploie devant les mondes. C'est par la dissipation de la Pensée qu'un tel zèle pénètre chez quelqu'un, parce qu'on lui a permis de circuler parmi les actions des autres, comme un navire sans pilote.
Celui qui se laisse ainsi distraire et qui se fait du mauvais sang au sujet des actions mauvaises des frères, ne peut pas être mort au monde.
Un tel zèle visant la conduite des autres peut s'installer durablement chez quelqu'un pour deux raisons : ou bien par orgueil, ou bien par sottise. En dehors de ces deux cas, il n'y a aucun motif qui puisse être à l'origine d'un tel zèle. Ou bien l'on s'imagine que ses propres défauts sont minimes en comparaison de ceux des autres - ou peut-être pense-t-on même n'en avoir pas du tout ! - et l'on se croit capable de ramener tout le monde à la vérité. Ou bien il semble que l'on deviendra l'ami de Dieu en faisant preuve de haine vis-à-vis des pécheurs, ce qui est le signe évident d'une conscience stupide et complètement étrangère à toute (vraie) connaissance de Dieu. Un tel homme semble ignorer que les saints ont accueilli la mort sous différentes formes, dans le but de ramener des méchants et des assassins sur le chemin vers Dieu, grâce à leur amour.
Ceux qui perçoivent le Dessein de Dieu et qui ont été entièrement rendus dignes de connaître son désir se laissent mettre à mort pour les pécheurs, à l'image du Fils de Dieu.
Ô Christ, dont les puissantes délices et l'espérance sont trop élevées pour la conscience humaine, sème ton espérance dans mes desseins, afin que ma Pensée, en te ressentant, cesse de regarder les choses de la terre. Car elle ne peut, Seigneur, cesser de se laisser distraire par celles-ci à moins d'être distraite par toi, comme il n'est pas possible non plus qu'elle tienne quelqu'un comme mauvais, à moins d'ignorer complètement ton espérance, et d'avoir le regard confiné à la terre, égal à celui d'une taupe.
Accorde-moi, Seigneur, de mourir à toute chose, afin que par cette mort tu puisses m'accorder de ressentir le mystère de la vie nouvelle.
Seigneur, ceux qui vivent pour ce monde-ci n'ont jamais été jugés dignes de ressentir cette connaissance-là, mais ceux- là seuls qui étaient morts durant leur vie d'ici-bas, à cause de cette bonne espérance qui leur est réservée, et qui offraient en tout temps à Dieu leur prière et leurs larmes, le suppliant avec un ardent amour qu'aucun homme ne fût exclu de ces délices.

Isaac le Syrien
Œuvres spirituelles II, 41 discours récemment découverts, Ed. ABBAYE DE BELLEFONTAINE, collection « spiritualité orientale»n° 81,
Traduction Dom André Louf, pages 111-116.
 Cet article est paru en janvier 2010   dans le numéro 379 du Bulletin de la Crypte
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