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Saint Jean Cassien : L'Incarnation

Saint Jean CassienLa fête de la Nativité de Notre Seigneur, au-delà des joliesses de la crèche, est la célébration de l’Incarnation du Verbe divin. C’est un événement d’une ampleur cosmique. Il n’est pas étonnant que l’esprit humain n’arrive à le saisir que partiellement. C’est ce qui adonné lieu à des erreurs christologiques, mais ces méprises ont permis à nos Pères dans la foi de préciser, « autant qu’ils le pouvaient » le contenu de cette dernière en formulant des dogmes. Il a déjà été dit dans cette rubrique que ceux-ci n’ont jamais été édictés a priori, mais toujours pour réagir à de graves erreurs. C’est du moins le cas pour « l’Église des sept conciles ».

Après la crise arienne qui niait la divinité du Christ, apparut ce qui devait devenir la crise nestorienne qui formulait une trop forte distinction entre le Verbe divin et la personne humaine de Jésus et risquait de mettre en cause l’unité du Christ. On pouvait même craindre le retour à l’erreur « docète » qui niait la réalité de l’Incarnation (le Christ n’aurait vécu sur terre qu’en apparence). Ce souci est souligné par plusieurs allusions dans notre texte. D’autre part, saint Cassien souligne fortement que l’Incarnation est inséparable de l’Ascension : le Verbe de Dieu, réellement descendu sur terre, est remonté auprès du Père.

Le pape de Rome, demanda à Jean Cassien (vers 360 – vers 435) abbé de Saint-Victor de Marseille et très bon connaisseur des Eglises d’Orient (il avait été ordonné diacre par saint Jean Chrysostome), un éclairage sur cette crise naissante. Il en sortit l’ouvrage dont est extrait le passage ci-dessous. 

L’écrit de Cassien joua indéniablement un rôle dans les débats des deux conciles œcuméniques, d’Éphèse d’abord (431) qui proclama Marie « Mère de Dieu » (Théotokos) et ensuite de Chalcédoine (451) qui affirma « un seul et même Christ, Fils, Seigneur, Monogène, sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation, la différence des natures n'étant nullement supprimée par l'union », En effet cette dernière formule reprend les terme de la lettre que le pape adressa au concile (car il n’y siégeait pas), lettre qui a certainement été inspirée, au moins en partie, par l’écrit de Cassien et avec laquelle on peut retrouver des similitudes ci-dessous.

Précisons que l’écrit a la forme d’un pamphlet, ce qui était classique à cette époque, saint Jean Chrysostome a fait de même contre les ariens. On a donc supprimé ici les passages polémiques ou les citations scripturales trop répétitives.

Michel Feuillebois

II° LE TEXTE

Marie est vraiment « Mère de Dieu »

Montrons maintenant que celui qui est né dans la chair a toujours été Dieu, même avant de revêtir la chair.

Après sa naissance corporelle, c'est le même qui est à la fois Dieu et homme, qui est seulement Dieu avant la nativité corporelle et qui est Dieu dans un corps. après l'enfantement par la Vierge, étant toujours le même Dieu Verbe qu'avant l'enfantement par la Vierge.

Le Seigneur n'est-il pas plus ancien que Marie ? Le Fils de Dieu n'est-il pas plus ancien que la fille de l'homme ? Dieu n'est-il pas plus ancien que l'homme même, puisqu'il n'est aucun homme qui ne vienne de Dieu ? Tu vois donc que Marie a engendré non seulement celui qui est plus ancien qu'elle, mais son créateur et, en procréant son créateur, elle devint la mère de son auteur. En effet, autant il fut aisé à Dieu de donner à un homme de naître, autant il lui fut aisé de se donner à lui-même de naître ; autant il fut facile de faire naître un homme, autant il lui fut facile de naître lui-même d l’homme

L a puissance de Dieu n'est pas limitée en sa personne : on ne peut pas dire qu'un droit qu'il exerce sur tous, il ne puisse pas l'exercer sur lui-même, ni qu'il n'ait pas le pouvoir, en ce qui regarde sa personne seule, d'être Dieu dans l'homme, alors que par la nature même de la déité, il peut tout faire en tant que Dieu.

Le mystère de l'Incarnation

Dieu a envoyé son Fils et celui qui a toujours été Fils de Dieu est devenu Fils d'homme.

Que dit donc [l’Apôtre Paul] ? « Dieu a envoyé son Fils dans la ressemblance de la chair de péché. » (Rom 8, 3). Disant : « Dieu a envoyé son Fils », il sait que tout le mystère de la foi catholique [universelle] réside en ceci : croire que le Seigneur est né dans la chair et que le Fils de Dieu a été envoyé dans ce monde.

Il a pris soin, tout en le disant « envoyé dans la chair », de l'exclure du péché issu de la chair, car il a dit : « Dieu a envoyé son Fils dans la ressemblance de la chair de péché », ce qui veut dire que dans le fait d'avoir véritablement assumé la chair, il n'y a pas eu [assomption] de la réalité du péché, et que, tout autant que l'on reconnaît la réalité pour ce qui est du corps, tout autant faut-il, pour ce qui est du péché, ne reconnaître que la ressemblance du péché. Puisque toute chair est pécheresse mais que lui a eu une chair sans péché, il a porté en lui la similitude d'une chair pécheresse tant qu'il a été dans la chair, mais il a été exempt de la réalité du péché puisqu'il a été sans péché.

Le Christ est le Verbe de Dieu, le Sauveur

Lorsque le Seigneur déclare : « Dieu en effet n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3, 17).voici donc le Seigneur lui-même, qui s'affirme envoyé par Dieu le Père pour le salut du genre humain.

Le Verbe a été envoyé pour guérir les hommes, car, si la guérison a été procurée par le Christ, ce fut cependant le Verbe de Dieu dans le Christ qui, par le Christ, a tout guéri. De cette union du Christ et du Verbe de Dieu dans le mystère de l'Incarnation, il advint que, du Christ et du Verbe de Dieu, il n'y eut qu'un seul Fils de Dieu de quelque côté qu'on le considère.

Quand [l'apôtre Jean] dit : « Dieu a envoyé son Fils comme Sauveur du monde » (1 Jn 4, 14), il joint par une liaison indissociable Dieu et l'homme. Le Christ, en effet, qui est né de Marie, est nommé sans hésitation Sauveur du monde, dans ce texte : « Car il vous est né aujourd'hui un Sauveur, qui est le Christ Seigneur » (Lc 2, 11).Et ici, le Verbe même de Dieu qui a été envoyé est nommé Sauveur.

Jésus est Fils de Dieu

Il est donc bien clair qu’en raison du mystère du Verbe de Dieu uni à l’homme, le Verbe envoyé pour sauver, d’une part est appelé Sauveur, et que le Sauveur né dans la chair, d’autre part, est appelé Fils de Dieu en vertu de la communauté qu’il forme avec le Verbe. De la sorte, sous le couvert de l'inséparable majesté qui s'attache à l'une et l'autre appellation en vertu de l'union de Dieu avec l'homme, tout ce qui est homme et Dieu reçoit à la fois et entièrement l'appellation de Dieu. C'est pourquoi l’Apôtre a bien fait d'ajouter : « Quiconque croit que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui et la charité de Dieu en lui est parfaite. » (Jn 4, 12 ; 15).

Celui qui croit que Jésus est Fils de Dieu, l'Apôtre le proclame vraiment croyant, il l'affirme comblé de la divine charité. Et il atteste que le Fils de Dieu est le Verbe de Dieu ; par là, il veut que l'on comprenne que ne forment absolument qu'un seul et même être le Verbe unique engendré de Dieu et Jésus-Christ Fils de Dieu. Bien que le Christ selon la chair soit vraiment homme né de l'homme, il n'y a cependant, en raison de l'ineffable et mystérieuse unité qui unit l'homme avec Dieu, absolument aucune différence entre le Christ et le Verbe.

Unité du Christ Dieu et homme

Ils veulent, l'Apôtre [Paul] qui a nommé le Christ par qui tout a été créé et l'Évangéliste qui a mentionné le Verbe par qui tout a été fait, qu'on comprenne qu'il s'agit d'un seul et même être. [Voici] ce que le Verbe de Dieu, qui est Dieu, a ouvertement dit de lui-même. « Personne, dit-il, n'est monté au ciel si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel » (Jn 3, 13)

Le Verbe du Père, certes, a toujours été dans le ciel Et comment en vient-il à mentionner que le Fils de l'homme a toujours été dans le ciel ? Comprends donc qu'il a enseigné qu'était Fils de l'homme celui qui a toujours été Fils de Dieu, lorsqu'il assure que celui qui s'est récemment manifesté Fils de l'homme a toujours été dans le ciel. On en vient ici à un autre point plus important : ce même Fils de l'homme, c’est-à-dire le Verbe de Dieu qu'il a déclaré descendu du ciel, il atteste qu'il est dans le ciel alors même qu'il parle sur la terre. « Personne, dit-il en effet, n'est monté au ciel si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel. »

Qui donc est celui qui parle ainsi ?  Le Christ, bien sûr ! Et où était-il quand il parlait ? Sur terre, évidemment. Et comment se fait-il qu'il atteste être descendu du ciel quand il est né, et être dans le ciel quand il parle ? Comment, encore, peut-il se dire toujours Fils de l'homme alors qu'il n'y a que Dieu qui puisse descendre du ciel, et alors que lui-même ne pourrait être dans le ciel, lorsqu'il parle sur terre, qu'en vertu de l'immensité infinie de Dieu ?   Le Fils de l'homme est le même que le Verbe de Dieu, car il est fils d'homme en naissant vraiment de l'homme et il est le Verbe de Dieu, tout en étant le même qui parle sur terre et qui demeure toujours dans le ciel. Ainsi, qu'il se dise vraiment fils d'homme, cela relève de la naissance humaine, mais qu'il ne s'éloigne absolument pas du ciel, cela relève de l'infinité divine.

Seul a pu descendre du ciel le Verbe de Dieu qui, « étant dans la forme de Dieu, s'est anéanti lui-même, prenant la condition de serviteur, devenu semblable aux hommes, et, par son aspect, reconnu comme un homme, s'est humilié, devenu obéissant jusqu'à la mort et la mort sur la croix » (cf Phm 2, 6-8). Est donc descend du ciel le Verbe de Dieu, et s'est élevé au ciel le Fils de l'homme. L'Apôtre dit que s'est élevé celui-là même qui est descendu. Le Fils de l'homme est donc le même que le Verbe de Dieu.

Unité et omnipuissance de Dieu

En effet, puisque, selon l'Évangéliste, est venu dans le monde celui par qui le monde même a été fait et qu'est devenu Fils de l'homme le Dieu créateur du monde, le nom qu'on donne, en chaque cas particulier, importe peu, étant entendu que, dans tous les cas, c'est Dieu. La bienveillance ou la volonté de Dieu ne portent pas préjudice à sa divinité, puisque la meilleure preuve de la divinité elle-même, c'est que tout a existé de ce que Dieu a voulu. Parce qu'il l'a voulu, il est donc venu dans le monde ; parce qu'il l'a voulu, il est né homme ; parce qu'il l'a voulu, il a été appelé Fils de l'homme. En tout cela, autant de noms, autant de « forces » de Dieu. En lui, la différence des noms n'amoindrit pas
la puissance. De quelque nom qu'il soit appelé, en tous il est unique. En dépit de l'apparente diversité des mots, il n'y a sous le sens des mots qu'une seule majesté.

Le Verbe, créateur et providence du monde

II est en effet l'unique, né Dieu de Dieu.au commandement de qui a répondu la constitution de l'univers, dont la volonté est l'origine des êtres, dont la souveraineté organise le monde. Il a dit toutes choses et elles ont été faites, il a commandé et tout a été créé. Il est donc l'unique qui parle aux patriarches, qui demeure dans les prophètes, qui a été conçu de l'Esprit, qui est né de la Vierge, qui a été vu dans le monde, qui a séjourné parmi les hommes, qui a attaché au bois de la croix le [document accusateur] des pécheurs (cf Col 2, 14),qui a triomphé en lui-même des forces [puissances] ennemies qui nous sont hostiles, qui a tué la mort, qui a accordé à tous la foi en la résurrection, qui a aboli par la gloire de son corps la corruption charnelle de l'homme. C'est donc au seul Seigneur Jésus-Christ que tout cela revient en propre.

Jean Cassien Traité de l’Incarnation
traduction M.A. Vannier,
ed. Cerf, collection Sagesses chrétiennes, pp 153 à 164

 Cet article est paru dans le Bulletin de la Crypte
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