Quatrième dimanche du Grand Carême
Hébreux VI, 13-20 ;
Évangile
selon saint Marc IX, 17 - 31
Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.
« Voici que nous montons à Jérusalem. Le Fils de l’Homme va être livré aux mains des pécheurs, et ils Le feront mourir ; mais le troisième jour Il ressuscitera. » Ces paroles du Seigneur, qui concluent l’Évangile d’aujourd’hui, nous allons désormais les entendre, comme un refrain, comme un rappel constant. Arrivés au quatrième dimanche de Carême, en effet, nous avons maintenant en vue la Semaine Sainte. La Pâque du Seigneur est proche.
Toute la semaine qui vient de se terminer, depuis dimanche dernier, était d’ailleurs consacrée à la vénération de la Croix. Cette Croix est maintenant devant nous comme un point de mire. La Croix vivifiante, la Croix source de grâce et porte du paradis, comme nous le chantons dans nos hymnes, la Croix instrument de la victoire sur le mal, la Croix qui chasse les démons.
Bien sûr, la Croix n’agit pas de manière extérieure, elle n’éloigne pas le mal par un effet de magie : elle est source de grâce dans la mesure où elle est réellement confessée et vécue. Son efficacité est liée à la foi, à la prière et à l’engagement de notre vie. Lorsque nous disons que la Croix chasse les démons, nous comprenons que c’est en réalité le Seigneur. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, nous voyons comment Il fait sortir l’esprit impur de l’enfant possédé. Il le fait en relation avec la foi, et Il précise que certaines sortes de démons « ne peuvent sortir que par la prière et le jeûne. » Face à l’incapacité des disciples qui n’ont pas pu guérir l’enfant, et face à la demande hésitante du père de l’enfant – « si Tu peux le guérir… » dit-il, dans un appel où la sincérité est mêlée au doute –, le Seigneur affirme que c’est la foi qui rend possible : « tout est possible à celui qui croit. » Et aussitôt, le père de l’enfant s’écrie en pleurant : « Je crois, Seigneur, viens en aide à mon manque de foi. » Cette parole paradoxale exprime bien la réalité de notre foi, qui est souvent hésitante mais qui est appelée à grandir.
La foi n’a rien à voir avec la crédulité, cette disposition qui consiste à croire ce qui nous arrange. Il y a des professionnels qui savent faire commerce de la crédulité des gens ou de leurs peurs. La foi n’est pas non plus une opinion : croire que Dieu existe ou qu’Il n’existe pas sont des opinions qui se valent si elles n’engagent pas notre vie.
Pour saint Paul, « La foi est une ferme assurance des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas. » La foi est un point d’ancrage pour notre vie, une certitude qui transcende toute assurance humaine. « Je crois, Seigneur, viens en aide à mon manque de foi. » Cette parole indique que la foi est en nous, mais qu’elle ne vient pas de nous. C’est un don de Dieu. Un don de l’Esprit Saint. Un don qui, pour pouvoir s’épanouir, a cependant besoin d’être reçu dans un cœur bien disposé. La foi consiste à donner un espace à Dieu dans notre cœur pour qu’Il puisse vivre et agir dans notre vie. La foi est une adhésion libre de tout notre être, sans laquelle le Christ ne peut triompher du mal en nous. La foi est une relation vivante avec Dieu, qui demande à se développer, à s’affermir. Qui connaît des épreuves aussi, qui est l’objet d’un combat, et pour laquelle nous acceptons de faire des sacrifices. C’est une relation de fidélité (la "foi" et la "fidélité" c’est le même mot en grec). C’est notre fidélité qui rejoint la fidélité de Dieu. Car Dieu le premier est fidèle. Son amour pour nous est fidèle. Dieu est fidèle à son dessein de salut pour nous.
Dans l’épître qui a été lue aujourd’hui, saint Paul nous explique comment, dans la promesse faite à Abraham, Dieu nous montre "l’immuable fermeté de Son dessein" .
Et comment la fidélité de Dieu est source de foi : « Cette espérance, nous la possédons comme une ancre de l’âme, sûre et solide ; elle pénètre au-delà du voile, là où Jésus est entré pour nous comme précurseur, ayant été fait souverain sacrificateur pour toujours, selon l’ordre de Melchisédek. »
Alors, la foi devient une foi qui sauve. « Ta foi t’a sauvé » dit Jésus à plusieurs occasions : à la femme hémorroïsse qui a été guérie en touchant Son vêtement, ou encore à la femme pécheresse venue oindre Ses pieds . La foi se nourrit de la prière et en même temps s’exprime dans la prière et anime la prière. Il y a un lien étroit, une profonde unité, entre la foi, la prière et toute notre vie. Elle se traduit en particulier dans l’effort spirituel qui doit être le nôtre en cette période de Carême.
Pour accompagner cet effort, qui est en même temps une montée vers la Lumière, une montée vers Dieu, l’Église a institué en ce quatrième dimanche de Carême la commémoration de saint Jean Climaque, un grand moine et ascète du VIIe siècle qui, après avoir mené le combat spirituel dans la solitude, a été higoumène du monastère Sainte-Catherine, au Sinaï (dans ce site grandiose, pour ceux qui ont eu la chance de pouvoir le visiter, et qui est resté un haut lieu de prière jusqu’aujourd’hui). L’Église honore saint Jean Climaque et nous le présente comme témoin d’une tradition sûre et authentique, comme modèle de la vie spirituelle chrétienne avec ses deux faces inséparables : d’une part l’ascèse, l’effort, le repentir, et d’autre part l’illumination par la grâce de Dieu. Le tropaire qui a été chanté le qualifie de "père théophore", porteur de Dieu. Nous le connaissons principalement par son œuvre célèbre : l’Échelle (climax en grec, d’où le nom de Jean Climaque), avec les 30 degrés vers la perfection.
Voici quelques-uns des thèmes qui y sont développés :
– La violence évangélique (l’ascèse corporelle, les jeûnes, les veilles… c’est-à-dire toute la dimension de combat dans la vie spirituelle) : « La vie monastique est une violence continuelle faite à la nature et une vigilance incessante sur les sens » . En effet, notre nature créée est appelée, non à se satisfaire d’elle-même, mais à se dépasser avec la grâce de Dieu.
– Le repentir, qui est la conscience vive de la séparation de Dieu et le retournement vers Dieu. Loin d’être une manifestation de découragement, « La pénitence est fille de l’espérance, elle est le renoncement au désespoir. »
– La prière, le souvenir permanent de Dieu, le tout culminant dans le trentième degré qui est l’Amour.
Cet enseignement de Jean Climaque ne nous éloigne pas du thème de la foi salvatrice qui est contenu dans l’Évangile d’aujourd’hui. Il témoigne d’une foi vécue de manière très concrète.
Que Dieu nous soutienne dans notre prière, qu’Il augmente et affermisse notre foi et nous fasse participer à la lumière de Pâques.
Amen.