LE PATRIARCAT ŒCUMÉNIQUE AU SERVICE DE L'UNITÉ ORTHODOXE ET DE
L'UNITÉ CHRÉTIENNE
Pour évoquer le service de l'unité auquel se voue, aujourd'hui
plus que jamais, le patriarcat œcuménique, je rappellerai d'abord
quelques données historiques, puis les efforts réalisés à notre époque,
notamment par Athénagoras Ier, enfin le combat actuel que mène
Bartholomée Ier.
Byzance devint Constantinople en 330 et l'empereur
Théodose, à la
fin du 4ème siècle, y fixa définitivement la capitale
de l'Empire romain, c'est-à-dire selon les conceptions de l'époque,
de l'empire universel, «œcuménique». Empire qui
allait subsister mille ans en Orient, alors qu'il s'effondrait en Occident
dès 476.
L'évêque de Constantinople gagne ainsi une
autorité exceptionnelle.
Le 3ème canon du concile de 381 fait de lui un témoin et
un recours après Rome car Constantinople est l'«autre Rome» alter
Roma.
Le 4ème concile œcuménique, celui de Chalcédoine,
tenu en 451, précise ce «privilège d'honneur» comme
un droit d'appel, fixe le ressort propre de Constantinople et dans son
28ème canon justifie la prééminence de ce siège
par sa présence dans la capitale où se trouve l'empereur
et le sénat. Rome proteste, affirmant que toute primauté doit
avoir un fondement apostolique, plus précisément pétrinien,
et non un fondement simplement «politique». En réalité,
faut-il le rappeler, la capitale avait une valeur symbolique de centre
cosmique et d'anticipation de la Jérusalem nouvelle. Quoi qu'il
en soit, le 28ème canon fut suspendu, mais ne tarda pas à entrer
dans les faits et, dès le 6ème siècle, fut reçu
aussi bien en Orient (dans le Syntagma) qu'en Occident (dans la Prisca).
A
la fin du 5ème siècle, l'Empire «œcuménique» ayant
disparu en Occident mais subsistant en Orient, le patriarche de Constantinople
(on parlait en effet désormais de «patriarche») prit
le nom, qu'il garde encore aujourd'hui, de «patriarche œcuménique».
Il devint alors le gardien de la structure conciliaire de l'Église que
symbolisait l'uni-diversité de la «Pentarchie», ces
cinq grands patriarcats qui correspondaient à des aires de civilisation : Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem.
Mais bientôt
l'invasion de l'islam fait de la Pentarchie un fantôme.
Rome et Constantinople, restées face à face, s'affrontent
au 9ème siècle avec la crise photienne, se réconcilient
en 880, mais ensuite s'éloignent l'une de l'autre (the Dark ages
pour Rome, l'orgueilleuse apogée politique et culturelle pour Byzance).
Lorsque se précise, de 1054 à1204, la séparation de
l'Orient et de l'Occident chrétiens, Constantinople assume en Orient
le rôle qui était celui de Rome aux premiers siècles : «manifester à toutes les saintes églises de l'univers
sollicitude et attention», défendre et préciser les
règles de foi (par exemple avec les conciles palamites du 14ème
siècle), exercer un droit d'appel et de secours (ainsi pour les
patriarches d'Antioche, réfugiés à Constantinople à l'époque
des croisades et des États latins du Levant).
Sans pour autant durcir l'opposition
avec Rome, à la fois reconnue
dans son charisme et refusée dans ses excès : «C'est à Pierre,
non à un autre mais à lui seul, que le Seigneur a confié la
présidence sur toutes les brebis de l'univers» (PG 124, 303
A). Et au 12ème siècle, Nicodème, métropolite
de Nicomédie : «L'Église de Rome, à laquelle nous ne
refusons pas la primauté parmi ses sœurs (...), s'est elle-même
séparée, par suite de ses prétentions. Si le pontife
romain (...) veut fulminer contre nous et nous lancer des ordres (...),
s'il veut juger nos églises, selon son seul avis, quelle fraternité,
et même quelle paternité pourrait-il y avoir en cela?» (Dialogues,
PL. 188, 1219).
Les conciles d'union de Lyon (1274) et de Florence (1439),
où le patriarche
cède aux Latins à la demande instante d'un empereur aux abois sont
rapidement rejetés : l'union de Lyon par le concile de 1285 où le
patriarcat encourage la recherche d'un dépassement et d'une conciliation
sur le problème du Filioque, l'union de Florence par le concile de 1454
(confirmé en 1484), dans le cadre nouveau, il est vrai, de l'Empire ottoman.
Avec
la chute de Constantinople en 1453, le patriarche est en effet à la
fois isolé et confirmé. Isolé, car le sultan redoute tout
rapprochement avec la papauté, qu'il considère comme la tête
de l'Occident ennemi. Confirmé, car le patriarche est nommé «ethnarque» du
millet orthodoxe, c'est-à-dire chef de la «nation» chrétienne
au sens musulman pour lequel le religieux et le civil sont inséparables.
Dans
ce nouveau contexte, la primauté fonctionne utilement jusqu'au début
du 19ème siècle. Le patriarche réunit en concile ses collègues
orientaux et leurs synodes, chaque fois que se pose un problème grave.
Les conciles du 16ème siècle règlent l'instauration d'un
patriarcat russe, ceux du 17ème situent l'orthodoxie entre Réforme
et Contre-Réforme. Au 18ème siècle, il faut faire face à l'offensive
romaine - prosélytisme, uniatisme, rebaptisation alors que jusque là la
communicatio in sacris persistait de manière sporadique.
Au 19ème
siècle, le mouvement des nationalités, qui triomphe
en Europe occidentale, gagne irrésistiblement les Balkans. Chaque nation
devenue État instaure d'autorité son indépendance ecclésiastique,
détache son Église du patriarcat œcuménique pour qu'elle se
déclare «autocéphale». Le fondement ecclésiologique
de l'orthodoxie semble devenu ethnique et national.
Au même moment, et pour
se protéger du même mouvement et de
l'assaut de la modernité, l'Église catholique s'enferme dans la forteresse
de l'infaillibilité et de la juridiction immédiate du pape sur
tous les fidèles, l'une et l'autre proclamées en 1870 par le premier
concile du Vatican.
Le patriarcat œcuménique fait face lucidement à ces
deux problèmes.
En 1848, lorsque Pie IX appelle les orthodoxes à se rallier à Rome
dans une perspective qui est déjà celle de Vatican 1, Constantinople
convoque les patriarches orientaux (sans oublier, semble-t-il, mais ce point
est controversé, le saint-synode de l'Église russe) et publie une encyclique
affirmant que la vérité ne peut être sauvegardée que
par le peuple tout entier, les évêques comme «juges»,
les simples fidèles comme «boucliers».
En 1872, un semblable
concile réuni à Constantinople condamne avec
beaucoup de fermeté le phylétisme, c'est-à-dire le nationalisme
ecclésiastique par lequel «le dogme de l'Église une, sainte, catholique
et apostolique reçoit un coup mortel».
Après quoi, et jusqu'aux
lendemains de la première guerre mondiale,
rien ne se passe : de nouveaux appels de Rome notamment en 1894, sont repoussés.
Quant à la proposition faite par le patriarche Joachim III, en 1902, que
toutes les Églises autocéphales se rencontrent et se consultent tous les
deux ans, elle n'obtient aucun écho.
A la suite de la première guerre
mondiale, l'Empire ottoman s'effondre,
une nation turque émerge du chaos, les Grecs, engagés dans une
folle expédition en Asie Mineure, sont vaincus, l'«échange
des populations» réduit à l'extrême, en Turquie même,
le nombre des fidèles du patriarcat, réduction que la crise de
Chypre aggravera encore. La chance du patriarcat, c'est d'obtenir alors juridiction
sur la diaspora grecque dans le monde, diaspora particulièrement importante
aux États-Unis. Le système du millet a disparu (sauf la clause qui permet
au gouvernement turc de rayer qui il veut de la liste des éligibles lors
de l'élection d'un nouveau patriarche). Le traité de Lausanne,
en 1923, garantit la situation du patriarcat à Constantinople mais ne
dit rien de son rôle hors des frontières de la Turquie. Ce qui permettra à celle-ci
de fermer en 1971 l'école internationale de théologie de Halki.
Durant
l'entre-deux-guerres, Constantinople prend sous sa protection la plupart des
fragments de l'Église russe qui se trouvent, soit par le nouveau découpage
des frontières, soit par émigration, hors du territoire soviétique.
Dénoncé par Moscou, déçu par l'attitude d'abord ouverte
puis nettement unioniste de Rome, le patriarcat se rapproche du monde anglican
et protestant. Par l'encyclique de 1920, il devient co-fondateur du mouvement œcuménique.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale où la Turquie est restée
neutre, il participe, en 1948, à la conférence d'Amsterdam qui
fonde le Conseil œcuménique des Églises. Constantinople doit alors
faire face au patriarcat de Moscou qui, la même année, dans un vaste
rassemblement des orthodoxes des pays de l'Est, dénonce le Conseil comme
un instrument du capitalisme universel. On peut le dire : Constantinople a sauvé alors
le Conseil œcuménique en préservant son caractère multiconfessionnel.
Lorsque, dans les années 60, s'ébauche entre l'Est et l'Ouest une
politique de «détente», c'est encore Constantinople qui, à la
conférence de New-Delhi, en 1961, assure l'entrée dans le Conseil œcuménique
de la plupart des Églises du monde communiste.
A partir de 1953, tout se précise
et s'accélère grâce
au patriarche Athénagoras Ier. A l'intérieur comme à l'extérieur
de l'orthodoxie.
A l'intérieur, Athénagoras entreprend de réinventer
la primauté dans
un contexte qui n'est plus celui de la Pentarchie, mais de la multiplicité des
autocéphalies. Constantinople apparaît comme un centre d'intercession
pour la sauvegarde de la foi et l'union de toutes les Église orthodoxes. La primauté ne
peut signifier désormais qu'une offre sacrificielle de service. Son rôle
est d'initiative, de coordination, de présidence, mais toujours après
avoir sollicité et obtenu l'accord des Églises-sœurs, selon les deux
principes de leur concilierait et de non-intervention dans leurs affaires intérieures.
A
partir de 1961, Athénagoras parvient à réunir une série
de conférences panorthodoxes (notamment dans l'île de Rhodes), conférences
où malgré toutes les tensions politiques, éclate ce qu'on
a appelé «le miracle de l'unité». Le grand patriarche
rend visite, dans une réelle ferveur, à presque toutes les Églises
autocéphales, y compris dans les Balkans, à celles qui se trouvent à l'Est
du «rideau de fer» (mais déjà la Russie se raidit et
refuse de l'accueillir). Il crée à Chambésy, près
de Genève, un centre de rencontre et de réflexion, où il
installe un secrétariat préconciliaire, car il désire placer
cet effort de rassemblement dans une telle perspective, non qu'il croie à la
possibilité rapide d'un concile, mais, comme il le disait, pour faire «fermenter
la fraternité orthodoxe».
L'essentiel, cependant, c'est le dialogue
admirable engagé avec Rome par
Athénagoras, malgré les réticences des Églises de l'Europe
du Sud-est et particulièrement de l'Athos où le patriarche dut
aller se justifier en 1963, avec un succès relatif, au moment même
où le second concile du Vatican retrouve le ministère de l'évêque
comme «ordinaire», «immédiat», exercé «personnellement
au nom du Christ» et définit l'Église universelle comme une communion
d'Églises locales dont chacune se fonde sur l'eucharistie.
Lorsqu'il apprend que
Paul VI va se rendre à Jérusalem, Athénagoras
suggère que tous les responsables des Églises chrétiennes y viennent
aussi «pour demander, dans une commune et fervente prière, à genoux,
les larmes aux yeux, et dans l'esprit d'unité, sur le Golgotha qui a été arrosé par
le sang très saint du Christ, et devant le sépulcre de celui dont
jaillirent la réconciliation et la pénitence, que s'ouvre pour
la gloire du saint Nom du Christ et pour le bien de toute l'humanité la
voie d'un rétablissement complet de l'unité chrétienne,
selon la sainte volonté du Seigneur». Projet qui parut utopique,
mais la rencontre du pape et du patriarche, elle, ne l'était pas. En janvier
1964, les deux hommes échangent le baiser de paix à Jérusalem.
Un an plus tard les anathèmes lancés en 1054 sont levés.
Un
long dialogue s'engage alors entre Athénagoras et Paul VI, entre qui
on sent grandir l'amitié. Ce dialogue a été consigné dans
le Tomos Agapis, «le livre de l'Amour» ou «de la charité»,
publié simultanément en 1971 par le Phanar et le Vatican. Paul
VI y met l'accent sur l'église locale comme communauté eucharistique,
Athénagoras reprend l'expression d'Ignace d'Antioche qu'une «présidence à l'amour» est
dévolue à l'église de Rome. Et malgré les déviations
médiévales et modernes le charisme pétrinien de ce siège
subsiste, affirme le patriarche.
La fin du pontificat d'Athénagoras Ier
fut assombrie par le retour en
force, autour surtout de l'éternelle rivale, Moscou, et des églises
slaves, de l'autocéphalisme absolu (il faudrait aux assemblées
panorthodoxes une présidence tournante) et de la méfiance antiromaine.
Tout
se stabilise et s'immobilise avec le successeur, humble et effacé d'Athénagoras,
Dimitrios Ier.
C'est donc le rôle du patriarche actuel, Bartholomée ler, qu'il
nous faut examiner pour finir.
Le patriarche Bartholomée a une excellente
connaissance, par l'intérieur
pourrait-on dire, des confessions occidentales. Il a étudié trois
ans à la Grégorienne, à Rome, et c'est là qu'il a élaboré et
soutenu sa thèse de droit canon. Puis il a approfondi la pensée
protestante à l'Institut œcuménique de Bossey, près
de Genève. Il a été membre, et même pendant huit ans,
vice-président de la commission du Conseil œcuménique intitulée «Foi
et Constitution», la seule du Conseil où les catholiques sont représentés à part
entière.
En même temps, collaborateur du métropolite Méliton puis
du patriarche Dimitrios Ier, il faisait l'apprentissage de l'orthodoxie dans
toute sa complexité. Lorsqu'il fut élu patriarche en novembre 1991,
il précisa sa vision de la primauté dans son discours d'intronisation.
D'emblée, il la définit comme participation à la Croix du
Christ, pour «le service et le témoignage de l'orthodoxie»,
dans l'entier respect de la «conciliarité à travers laquelle
l'Esprit parle à l'Église». Puis, il dit «son baiser de paix
et d'amour» aux primats des Églises non-chalcédoniennes - «dont
la foi est si proche de la nôtre» -, au pape, aux primats de l'Église
anglicane et de l'Église vieille-catholique, aux responsables de toutes les autres
communautés chrétiennes et particulièrement du Conseil œcuménique
des Églises.
Dès mars 1992, pour le dimanche de l'orthodoxie, il rassemble
au Phanar
une «synaxe» des primats orthodoxes. «Ils se découvrent
face à face, dit-il, échangent le baiser de paix et d'amour, partagent
la Coupe de la Vie (... ), recevant ainsi de Dieu le don de l'unité orthodoxe».
Tous affirment leur volonté d'affronter «comme un seul corps» les
problèmes d'aujourd'hui...
Mais dans les années suivantes, vers
1995, il se heurte à deux
difficultés aujourd'hui mal surmontées : d'une part les relations
avec Moscou, de l'autre le profond malaise que la collaboration d'une partie
de l'épiscopat avec le régime totalitaire a provoqué dans
beaucoup d'Églises. Avec Moscou, la crise a cristallisé en 1995-96 sur
la situation de l'Église d'Estonie. Autonome sous la protection de Constantinople
dans l'entre-deux-guerres, intégrée après 1940-45 dans le
patriarcat de Moscou, cette Église tente aujourd'hui de se reconstituer, mais
elle se divise, les Soviétiques ayant largement russifié le pays.
D'où le conflit entre Constantinople et Moscou, de sorte que le patriarche
russe n'est pas venu à la synaxe tenue à Patmos à la fin
de septembre 1995. Surmontée en mai de l'année suivante, la crise
pourrait renaître à propos de l'Ukraine où la situation reste
chaotique.
En Bulgarie d'autre part, le malaise que j'évoquais tout à l'heure
est allé jusqu'au schisme. Au début d'octobre 1998, une troisième
synaxe, au complet cette fois, s'est réunie à Sofia. Le schisme
a été effectivement surmonté mais la logique de désintégration
est telle qu'il recommençait dix jours plus tard.
Tout cependant n'a pas été vain
dans ce dur combat du patriarcat œcuménique
pour manifester l'unité orthodoxe.
Deux acquis subsistent : d'une part
la pratique des synaxes qui rassemblent, pour une réflexion et une action
communes, tous les primats des Églises autocéphales ; d'autre part, dans
les pays de la diaspora où se juxtaposaient les juridictions, la formation
d'Assemblées d'évêques sous la présidence du représentant
de Constantinople. En France, cette Assemblée, vient de fêter son
premier anniversaire.
Dans le domaine œcuménique, Bartholomée
fait face, tant bien
que mal, à la poussée d'intégrisme anti-occidental qui enfièvre
actuellement la plupart des Églises orthodoxes... Crainte de la modernité dont
on ne veut voir que les aspects négatifs, refus des sous-produits de la
culture américaine, maladresses des confessions occidentales, poussée
des sectes et maintenant, de plus en plus, du bouddhisme et de l'islam d'où l'exaspération
des nationalismes, tout explique ce repliement, voire cette agressivité.
A quoi s'ajoute l'influence d'une sorte d'internationale millénariste
qui va de certains monastères athonites et des vieux calendaristes grecs à l'aile
droite de l'Église russe-hors-frontières, maintenant présente en
Russie même, en passant par le soi-disant patriarche de Kiev Philarète
et ses succursales en Occident, sans oublier certains évêques serbes.
Bartholomée
a maintenu jusqu'à l'été 1993 le travail
de la grande commission mixte orthodoxe-catholique. Cette année-là, à Balamand,
dans le nord du Liban, cette commission a élaboré un texte décisif
où les deux «Églises-soeurs» ont trouvé un accord sur
le problème de l'uniatisme : les catholiques renonçant solennellement à celui-ci,
les orthodoxes s'engageant à tolérer momentanément les communautés
grecques catholiques. Le patriarche veut aller plus loin : il favorise le «groupe
de Kiev» qui réunit des théologiens grecs-catholiques et
orthodoxes et cherche les voies d'une intégration mutuelle, que souhaitent
aussi les uniates du Proche-Orient.
Mais l'accord de Balamand, sans parier de
ces prolongements encore discrets,
n'a été accepté ni par toutes le Églises orthodoxes, ni
par toutes les Églises grecques-catholiques. Et depuis 1993, la grande commission
mixte n'a pas pu se réunir.
Pire : le patriarche lui-même a dû partiellement
céder à ses
intégristes sur le problème de la primauté romaine. Depuis
deux ans, et malgré des visites ferventes à Rome, il n'a cessé d'affirmer
que rien dans les Evangiles ne fonde cette primauté. Et certes rien
dans les Évangiles ne justifie les Didactus papae de Grégoire
VII, ni le dogme de 1870, ni l'État du Vatican, mais la vocation de Pierre
est clairement dessinée,
comme l'affirmait le Tomos Agapis. Il est regrettable que devant la mobilisation
anti-romaine de l'orthodoxie les ouvertures de Jean-Paul Il - Orientale Lumen,
note sur le Filioque, appel à étudier ensemble les modalités
d'exercice de la primauté - aient été à ce point
ignorées.
Du côté du monde protestant, le patriarche n'a pu
empêcher
l'assaut en règle contre le Conseil œcuménique, ni le retrait
total ou partiel de plusieurs Églises orthodoxes.Il est trop tôt pour mesurer
les conséquences de la récente Assemblée générale
d'Harare. Peut-être, comme en 1948, Constantinople sauvera-t-elle la participation
orthodoxe au Conseil.
Le destin de Bartholomée Ier est aujourd'hui un destin
tragique. Quoi
qu'il arrive, nous sommes sûrs d'une chose, c'est qu'il continuera de lutter,
et ici, je le cite, «pour une conscience ecclésiale libre de toute
structure idéologique et d'un retrait inerte dans un formalisme institutionnel».
Dans cette lutte entre la foi et le destin, il nous reste à aimer et à aider
ce grand patriarche : pour la foi, contre le destin.