Éditorial de février 2009
IN MEMORIAM OLIVIER CLÉMENT
Il faut rendre grâce au Seigneur pour cette longue vie où notre ami Olivier Clément, qui nous a quittés le 15 janvier dernier, a su consacrer le meilleur de ses talents et de ses forces au témoignage et à la transmission de la foi orthodoxe, ou disons plutôt, du message évangélique enrobé d’une tradition ecclésiale bimillénaire.
Sorti d'un milieu déchristianisé tel que nous le connaissons, dans cette France pays de mission où Dieu nous a donné de vivre et que nous aimons, au terme d'une longue quête dans les sagesses orientales, Olivier avait rencontré le Christ et avait sollicité le baptême dans l'Église Orthodoxe en novembre 1952.
À la différence de ceux d’entre nous qui sommes nés et qui avons grandi dans l’Église et qui avons bu dès notre tendre enfance à la mamelle maternelle de l’Église le lait ecclésial, puis la nourriture solide et consistante de la tradition orthodoxe, c’est à l’âge adulte qu’Olivier vécut un profond retournement, disons-le, une naissance spirituelle où les semences de résurrection germèrent et envahirent pour toujours son espace intérieur. « On ne naît pas chrétien, disait déjà un apologète chrétien au IIIe siècle, on le devient ».C’est alors, qu’après avoir reçu une formation littéraire et historique solide, s’était opérée la rencontre d’Olivier avec le philosophe russe Nicolas Berdiaeff et le théologien russe Vladimir Lossky, ce qui impliqua pour Olivier un retournement profond et une adhésion inconditionnelle au mystère chrétien dans ses profondeurs.
Présentant Vladimir Lossky et Paul Evdokimov comme "deux passeurs", Olivier avait revêtu lui-même ce charisme de passeur, de batelier d'une rive à l'autre. Passeur avant tout de la Tradition de l'Église indivise en notre fin de millénaire. Passeur entre l'Orient et l'Occident, Olivier s’efforça de réaliser en sa personne et en sa pensée la synthèse de l'Orient syro-byzantin, de la tradition religieuse russe (allant de Berdiaeff à Soljénitsyne) et de l'Occident contemporain dont il émanait et qu’il représentait.
« Sa pensée est originale parce que lui-même est le fruit d’une greffe complexe et bien réussie » écrit de lui Andrea Riccardi.Fidèle à la tradition de l’Église Orthodoxe, reçue et confessée dès son baptême à l’âge adulte, Olivier savait pourtant ne pas s’enfermer dans un rigorisme confessionnel clos et exclusif. Il aimait souligner l’importance du dialogue, à la fois à l’intérieur des familles divisées de la chrétienté, et de façon plus large, avec les familles abrahamiques du judaïsme et de l’islam.
La conviction profonde d’Olivier était que le Christ est partout présent et que par son Incarnation le Verbe a assumé l'humanité entière du début de l'histoire jusqu'à son achèvement. Toute l'histoire humaine, disait Olivier, a tendu vers le Christ qui est venu et tend vers le Christ qui vient.
Olivier fut présent dans les grands bouleversements et questionnements de notre temps : mai 1968, la chute du mur de Berlin et l'ouverture des pays de l'Est, le millénaire du baptême de la Russie, le drame de la Bosnie et la justice rendue aux souffrances du peuple serbe.
Dialoguant avec le marxisme, il rappelait sans cesse la dignité infinie de la personne humaine, dialoguant avec la modernité sans crainte ni complaisance, mais avec la certitude que l'Évangile du Christ est ce qu'il y a de plus actuel et vivant. Olivier était particulièrement sensible aux problèmes douloureux de l'éthique médicale, de la sexualité, ou plutôt de l'amour, ou même de l'éros humain répondant à l'Éros de Dieu lui-même.
Je parlerais volontiers de sa théologie comme d'une théologie pascale, comme d'un hymne à la résurrection du Christ et donc d'espérance en notre propre résurrection. Cette dimension pascale traverse la totalité de son œuvre, de sa réflexion sur la crise de la modernité, sur l'essence même de l'Orthodoxie.
Je le cite : « C'est parce que le Fils éternel est solidaire non seulement de notre humanité créée à son image, mais solidaire aussi de notre condition de mort, de notre condition athée, de l'athéisme le plus total, c'est pour cela que tout se retourne devant l'amour fou de Dieu, que l'abîme de l'enfer et de la mort se volatilise comme une dérisoire goutte de haine dans le gouffre de feu de la divinité. Le Verbe revient vers son Père, emmenant avec Lui l'humanité à qui se rouvre désormais la plénitude de la vie, le chemin de la déification. »
J’ai eu le privilège de porter la sainte communion à Olivier peu après la Fête de la Nativité du Sauveur. Je le sentais à la fois très présent, paisible, confiant, mais aussi déjà ailleurs, attentif à l’essentiel. Il faut dire que ces dernières années de sa maladie, où Olivier était cloué au lit et où Monique le veillait et l’accompagnait sans relâche, ce temps fut certes une lourde épreuve pour lui et pour tous les siens, mais, j’ose le dire, il fut aussi un temps exceptionnel de grâce, où une véritable marche dans le désert intérieur du cœur signifia pour lui une communion profonde avec le Seigneur.
Je terminerai en soulignant combien pour Olivier la vie humaine sous toutes ses facettes, corporelle, sentimentale, intellectuelle, sociale n’avait de sens que dans le mystère de la Résurrection. « Depuis la Résurrection du Christ, disait-il, un espace de non-mort s’ouvre dans l’opacité du monde, un espace où tout peut basculer dans la lumière ».
Entrant toi-même désormais dans la Lumière pascale sans déclin du Royaume, et cela précisément au jour de la Fête de Saint Séraphin de Sarov, c’est à nous tous rassemblés aujourd’hui autour de toi que tu t’adresses avec cette salutation de Saint Séraphin : « Ma joie, le Christ est ressuscité ! »
Père Boris
Bulletin de la Crypte N° 370 février 2009