Éditorial de juin 2008
Éditorial
« Je suis venu jeter le feu sur la terre »
"Je suis venu jeter le feu sur la terre, dit Jésus, et combien Je désire que ce feu s'embrase !" c'est-à-dire que ce feu embrase la terre. C'est la jonction de deux éléments contraires : la terre qui est froideur et sécheresse et le feu qui brûle. Ce feu qui brûle, qui embrase, qui consume avant tout les impuretés et les scories, est l'image de l'Esprit Saint. La terre fertile est nécessaire à la vie. Mais sans le feu et sans l'eau, elle redevient un désert stérile. Pensons aux espaces désertiques qui ont recouvert notre planète depuis des millénaires, réduisant dangereusement les espaces fertiles. Tout cela est symbole, bien sûr, de notre cœur : sans le feu, notre cœur devient froid et sans eau il devient sec. Il ne peut alors accueillir la Parole de Dieu. La parabole nous rappelle que pour que notre cœur accueille la Parole de Dieu, la Parole vivante qu'est le Christ, il faut que notre cœur soit préparé, purifié par le Saint-Esprit. Nous avons besoin de l'Esprit Saint, qui crée en nous tout d'abord un malaise, une soif, un désir, le sentiment que les choses ne vont pas bien. Tant que nous sommes contents de nous-mêmes, tant que nous sommes satisfaits et paisibles dans notre petite existence close, le Seigneur ne peut pas venir. C'est pourquoi, par amour pour nous, le Seigneur nous bouscule et crée en nous ce désir, cette insatisfaction, cette souffrance. L'Esprit Saint nous pousse à nous lever, à partir à la recherche de quelque chose ou à la rencontre de quelqu'un. Cette recherche peut être parfois très douloureuse, elle peut nous entraîner au loin parfois pour de longues années. Mais le fait même de cette recherche est déjà le signe de la grâce de Dieu en nous. Alors, par une grâce infinie, l'Esprit Saint nous ouvre finalement les yeux et fait en sorte que, par différents moyens qui sont les moyens de Dieu, par une rencontre humaine, par une lecture, par un bouleversement intérieur, nos yeux s'ouvrent et que nous découvrions le Seigneur.
C'est une découverte parfois fulgurante, parfois lente. Quelquefois nous nous réveillons un matin et tout est clair, alors que la veille encore tout semblait sombre. Ainsi s'opère la conversion du cœur, le retournement du cœur. C'est la réponse à la parole du Seigneur : "Repentez-vous, car le Royaume de Dieu est proche." La repentance véritable exprime une profonde conversion du cœur, un retournement à 180 degrés, quand on se détourne des ténèbres pour chercher la lumière. Et lorsque cette lumière commence à briller en nous, une loi nouvelle d'existence commence peu à peu à s'instaurer, à s'ordonner. De jour en jour nous voyons de mieux en mieux toutes les ténèbres, tout le mal, toutes les insuffisances, tous les péchés qui ont été en nous d'année en année, dans un passé qui reste parfois très présent, pesant et douloureux. C'est alors que, par la grâce de Dieu, nous pleurons. C'est une véritable grâce de Dieu que de pouvoir le faire, de pouvoir non seulement voir nos péchés, mais de pouvoir les regretter et les pleurer. Le don des larmes suit le don de repentance qui est le premier don du Saint-Esprit. Par des larmes de feu, le Saint-Esprit brûle ce qui, en nous, doit être brûlé, parce que "rien d'impur, dit saint Paul, n'entrera dans le Royaume de Dieu".
Par conséquent, il faut demander au Seigneur Lui-même d'opérer en nous les actes chirurgicaux nécessaires, de retrancher de notre cœur et de notre être toute passion, toute tendance mauvaise, toute entrave à la grâce de Dieu, toute amarre humaine et terrestre qui nous empêcherait de monter vers le ciel. Alors seulement cette montée se réalise. C'est à la fois une descente dans notre cœur et une montée vers Dieu. L'Esprit Saint en est le Maître d'œuvre, Lui qui guide et donne la puissance, l'élan. Il nous conduit vers le Seigneur et nous permet d'ouvrir notre cœur, ce cœur humain blindé par l'égoïsme et le péché. Car notre cœur est blindé : nous nous protégeons de la souffrance, du prochain, de nous-mêmes d'ailleurs et surtout nous nous protégeons de Dieu en nous fermant à Lui. Ce sont les innombrables fermetures qu'opère en nous le péché. L'Esprit Saint déverrouille les cadenas et les serrures de la porte blindée de notre cœur, il ouvre tout doucement un interstice, une fente. Puis, peu à peu, avec la grâce de Dieu, par la repentance et la prière, les portes s'ouvrent de plus en plus grandes. Et nous découvrons dehors le Seigneur qui attend que nous voulions bien Lui ouvrir : "Voici que Je Me tiens à la porte et que Je frappe. Si quelqu'un entend Ma voix et ouvre, J'entrerai chez lui et Je souperai avec lui, lui près de Moi et Moi près de lui (Ap 3,20)." Telles sont les paroles du Seigneur dans la lettre à l'Église de Laodicée.
C'est une lettre fulgurante et terrible : "si seulement tu étais froid ou chaud, mais tu es tiède et Je te vomirai de Ma bouche (Ap 3,13)". Ces paroles dures précèdent les paroles d'une infinie tendresse que nous adresse le Mendiant d'amour, Celui que l'Esprit Saint nous permet de désirer et finalement d'accueillir. Tout d'abord, c'est pour un tout petit instant, devant la porte, parce que nous n'avons pas le temps; ensuite en ouvrant la porte plus largement. Et à la fin, le Seigneur vient en nous, il vit en nous, il aime en nous, il voit en nous, il respire en nous. Que respire le Seigneur en nous? Il respire l'Esprit Saint, parce que le Seigneur est rempli de l'Esprit Saint. A son tour, quand le Seigneur est là, il nous donne l'Esprit Saint. C'est le miracle de l'amour dans lequel l'Esprit Saint nous donne le Christ, l'introduit dans notre être et par lequel le Christ Lui-même nous fait respirer l'Esprit Saint. Comme le proclame le chant de la liturgie : "j'ouvrirai ma bouche et elle se remplira de l'Esprit". Ouvrir sa bouche dans la prière signifie aussi aspirer l'Esprit.
Le Christ vient alors en nous et nous exhalons l'Esprit, nous rayonnons par Lui, nous Le donnons.
Ainsi s'accomplit le souhait du Christ que je citai au début : "Je suis venu jeter le feu sur la terre"."Jeter le feu sur la terre", jeter l'Esprit Saint, tel est l'unique but de la venue du Christ. Ce feu dont le Christ est l'origine, avec le Père. "Précurseur de l'Esprit Saint", tel est le nom donné parfois de nos jours au Christ, car si le Christ porte l'Esprit en lui, Il Le précède et Il Le donne.Que chacun de nous, à l'étape et au moment et sur la marche de l'échelle où il se trouve, que chacun de nous cherche à se remplir de l'Esprit Saint.
Non pas à en recevoir une petite quantité, mais à se remplir à tel point que nos cœurs et nos poumons soient prêts à éclater; à tel point que nous devenions brûlants comme le prophète Jérémie qui brûlait du feu de l'Esprit. Et l'Esprit le forçait à exprimer, à jeter hors de lui la parole de Dieu, la parole de vie qu'il lui était ordonné d'annoncer et qu'il voulait fuir. Que cette parole de Dieu nous emplisse nous aussi, et qu'elle nous contraigne, par l'amour de Dieu, à témoigner de sa grâce infinie.
Père Boris
Bulletin de la Crypte N° 364 juin 2008