Éditorial de mars 2007
Éditorial
Orientés vers la source, tournés vers le monde
J’ai été récemment sollicité par notre paroisse sœur bien-aimée, par la communauté “antiochienne“ de Saint-Étienne (à Paris) pour parler sur le thème Être orthodoxe dans le monde occidental. J’aimerais en reprendre avec vous, chers lecteurs, le premier point sur les notions mêmes d’Orient-orientaux et d’Occident-occidentaux.
Depuis que nous savons que la terre est une sphère, nous savons donc aussi qu’au-delà d’un Proche-Orient il y a un Moyen Orient, puis encore au-delà un Extrême Orient ; de même pour l’Occident on en arrive au Far-West et finalement les extrêmes s’atteignent et peut-être même se confondent pour le meilleur et pour le pire, d’une part dans l’engouement d’un “orientalisme“ sans réserve ni discernement, et d’autre part vers une fusion dans ce que l’Occident véhicule d’ambigu ou de spirituellement destructeur.
Certes, dans l’histoire bimillénaire du christianisme on parlera de l’Orient sémitique judéo-chrétien ou arabe, byzantin, slave, en un mot, orthodoxe, et de l’Occident latin, germanique, anglo-saxon, en un mot catholique romain ou protestant, puis du Siècle des Lumières, du positivisme, sécularisme, athéisme… De nos jours cette délimitation géo-historique est surannée et les frontières entre l’Orient et l’Occident sont largement abolies. L’Occident latin ou réformé se veut universel et par contre, les églises orientales ont essaimé au 20e siècle en une Diaspora massive qui a recouvert les pays d’Europe Occidentale et du Nouveau Monde en paroisses, diocèses orthodoxes liés d’une part à leurs Églises Mères d’origine, cherchant d’autre part à s’organiser, s’unifier, se structurer en germes d’églises locales.
Par ailleurs le processus de sécularisation matérialiste ne connaît pas de frontières avec le progrès technologique rapide qui abolit les frontières des pays et même des continents, tendant vers une mondialisation ou la notion même de nation, de patrie, de culture sont mises en question et apparaissent comme obsolètes et démodées.
Ces considérations montrent bien le caractère relatif des notions géographiques et historiques d’Orient et d’Occident et nous invitent à approfondir ce sujet en le situant dans sa véritable dimension, celle de la Révélation du Christ en laquelle nous avons en ultime ressort à nous “orienter“. Depuis la haute antiquité chrétienne l’Église a eu conscience que le véritable Orient, c’est-à-dire le lieu où se lève le soleil c’est le Christ Lui-même, Celui que les textes liturgiques de la Nativité appellent “l’Orient d’en haut“ ou “le Soleil de justice“. Il est la véritable Lumière du monde qui vient éclairer ceux qui sont dans les ténèbres.
Quant à l’Occident, il symbolise alors d’une part le monde entier qui gît dans les ténèbres de l’ignorance, et donc monde dans l’attente de l’illumination par le Soleil divin. Par ailleurs l’Occident sera aussi le lieu du prince des ténèbres, de celui qui usurpe le règne du Christ, de celui même qui tentera le Christ au désert et Lui offrira tous les royaumes de la terre, de celui enfin auquel nous sommes appelés à renoncer, et cela dès notre baptême et pour notre vie entière. C’est ainsi que lors des promesses baptismales, le catéchumène est tourné vers l’Occident et est invité à renoncer à Satan ; puis, tourné vers l’Orient, il s’engage à se joindre au Christ, ce qu’il confirme par la récitation du symbole de foi.
Les rites baptismaux marquent et finalisent notre vie entière, et tout notre chemin vers le Royaume est une marche incessante et ininterrompue vers l’Orient véritable, en en même temps un témoignage envers l’Occident, c’est-à-dire vers le monde entier de l’Évangile du salut. Ainsi, être “oriental“ n’est pas un privilège de naissance ou de nation ou de culture, mais une vocation, un devenir. “On ne naît pas chrétien, disait Tertullien au 3e siècle, on le devient“.
Ayant rappelé le sens premier et essentiel des notions d’Orient et d’Occident, nous pouvons revenir à nos catégories coutumières, chercher à cerner dans notre tradition orthodoxe ce qui est essentiel et universel, mais aussi chercher à découvrir chez nos frères “occidentaux“ ces mêmes réalités essentielles, parfois en germe, sans lesquelles le christianisme lui-même perd non seulement sa saveur, mais aussi sa vérité transcendante et éternelle.
Quelles sont ces réalités que cherche à véhiculer et à transmettre l’Orthodoxie et que nous discernons chez nos frères, cela sera peut-être l’objet d’éditoriaux ultérieurs, et pourquoi pas aussi l’occasion d’échanges entre les lecteurs de notre bulletin.
Lecteurs amis, orthodoxes de foi ou de cœur, soyons tournés vers l’Orient véritable où que nous soyons, “orientalisons-nous“ nous-mêmes, c’est-à-dire illuminons nous par Celui qui est la Lumière du monde, et alors, n’ayons pas peur de nous tourner vers l'"Occident“, c’est-à-dire vers le monde, sans nous “occidentaliser“ pourtant ; car c’est vers le monde que le Seigneur nous envoie et c’est son Esprit qui parlera et témoignera en nous et par nous.
.
Père Boris
Bulletin de la Crypte N° 351 février 2007