Éditorial de mars 2006
La tristesse radieuse
Nous en arrivons enfin à la grande quarantaine du Carême pascal, annoncée dans l’éditorial du mois dernier. La liturgie du Dimanche du Pardon est suivie de l’office de vêpres, où de manière spectaculaire l’église se métamorphose en vêtements sombres, les portes royales se ferment, les chants et les prières liturgiques acquièrent une tonalité de repentance. C’est un temps, semble-t-il, de tristesse, mais en réalité la joie n’est pas abolie et l’Eglise en parle comme d’une tristesse radieuse, c’est-à-dire d’une tristesse source de joie. C’est fréquemment par l’usage simultané de termes contradictoires que nous pouvons chercher à exprimer le mystère du Dieu à la fois inaccessible et proche, de parler de l’exigence d’amour à travers l’oubli et le don de nous-mêmes, pour que ce ne soit plus moi qui vive, mais le Christ en moi.
Tristesse source de joie. Et en vérité cette joie est profonde et vraie et c’est dans cet esprit que nous entrons dans le saint Carême pascal, car nous sentons que c’est la porte nécessaire pour la rencontre du Christ ressuscité. Nous sentons que la grâce du Saint-Esprit nous atteint et nous sollicite dans les profondeurs de notre être et qu’Il illumine et sanctifie les recoins les plus cachés, je dirais même les plus obscurs de notre conscience, là où s’engendrent les passions. Sentiment de joie, disais-je, car le Saint-Esprit agit en nous par une véritable contrainte d’amour, par une violence bénie qui cherche à briser nos résistances les plus tenaces. Voici encore un nouvel exemple de l’action semble-t-il contradictoire de Dieu qui voudrait nous contraindre à aimer. Mais en réalité, en face de cette violence de l’amour divin nous restons libres, car Dieu nous sollicite avec une infinie douceur et avec le respect de notre libre choix et même avec humilité comme un mendiant qui frappe à la porte de notre cœur. Cette contrainte même, cette violence de l’amour divin signifient que nous sommes attirés par cet amour avec une force d’attraction irrésistible, car elle touche à la vérité et à la grandeur mêmes de notre être, créés que nous sommes à l’image de Dieu et appelés à sa ressemblance par une montée infinie.
Cette tristesse radieuse exprime l’essence même de notre foi chrétienne, car c’est le Seigneur Lui-même qui est descendu jusqu’au plus profond de notre détresse ; Lui le Riche S’est appauvri, Lui l’Impassible a voulu souffrir et crier sur la Croix sa solitude. Depuis lors c’est la Croix, instrument suprême de souffrance qui devient arme de victoire et de salut : « Réjouis-toi, Croix vivifiante », chantons nous au Dimanche de la Croix clôturant ainsi ce mois de mars et atteignant au milieu du chemin de Carême.
Tous les saints ont vécu, chacun selon le don particulier de Dieu, cette tristesse radieuse, et le mois de mars se terminera par la Fête de l’Annonciation, quand une humble vierge de Nazareth entendra par la voix de l’archange l’annonce inouïe de son élection pour être la Mère du Messie attendu par Israël depuis des siècles. Marie vivra de manière exemplaire et extrême cette tristesse radieuse, accompagnant son Fils jusqu’à la Croix et au Tombeau. Mais la croix devient Croix victorieuse et le tombeau devient Tombeau vivifiant. Les larmes de Marie deviendront larmes de joie et d’intercession maternelle pour le monde que Dieu a tant aimé.
Père Boris
Bulletin de la Crypte N° 341 mars 2006