Les saints sont parmi nous

L'évènement marquant de notre Église orthodoxe en France est sans aucun doute l'acte de canonisation des nouveaux saints russes qui ont vécu et œuvré sur la terre de France en cette première moitié du 20e siècle. Cet acte de canonisation fut érigé par le saint synode du Patriarcat de Constantinople et confirmé dans une célébration solennelle par notre Archevêque Gabriel dans notre Cathédrale St Alexandre les 1 et 2 mai derniers.

Je vois dans ces figures de sainteté contemporaine une double convergence. Certes, ils entrent dans la grande famille des saints martyrs et des justes de tous les temps, témoins de l'amour de Dieu jusqu'au don ultime de leur vie. Mais non moins, ils sont chair de notre chair, nos contemporains, ayant partagé les soucis, les peines et les besoins des chrétiens de notre temps. Nous nous retrouvons en eux.

Cette double convergence des saints d'aujourd'hui signifie qu'il y a une profonde et mystérieuse continuité entre les saints « glorifiés » de l'Église « triomphante » et les chrétiens en labeur et en ascèse dans l'Église « militante ». D'ailleurs les citoyens du ciel « militent » pour leurs frères sur terre, et quant à nous, nous avons déjà l'avant-goût de la victoire pascale du Christ ressuscité dans notre vie liturgique et sacramentelle, vie qui embrasse et qui embrase notre existence tout entière. Il est bon d'insister sur la transparence à l'Esprit Saint de toute notre existence, refusant ainsi tout dualisme ou dichotomie entre le sacré ecclésial et intime et le profane du monde dans lequel nous sommes plongés.

Par ailleurs, il faut aussi le redire ici, nous avons été trop habitués à installer les saints sur un piédestal, à les enfermer dans des icônes ou des reliquaires, érigeant une barrière constituée par l'acte de canonisation entre eux et nous, oubliant par cela qu'ils sont parmi nous et qu'ils nous offrent au Seigneur et nous portent dans leur intercession. Les saints se fondent dans la grande famille ecclésiale des vivants et des défunts que nous appelons la communion des saints. Me vient à l'esprit la réaction attristée d'amis russes qui avaient l'habitude de se réunir au jour anniversaire de l'assassinat de la famille impériale russe lors d'une pannykhida à leur mémoire. « Depuis qu'ils sont canonisés, nous ne pouvons plus prier pour eux ! »

Ainsi, le mystère de l'Ascension du Christ imprime dans l'Église un mouvement ascensionnel de la terre au ciel où tous nous sommes entraînés par le souffle de l'Esprit, vers la Maison du Père, à la suite de Celui qui siège désormais à la Droite du Père, le Christ Jésus. À son tour, le Christ nous envoie d'auprès du Père l'Esprit de la Pentecôte, selon sa propre parole : « Je suis venu jeter le Feu sur la terre, et combien Je désire qu'il s'embrase ».

C'est dans cette certitude que l'Église célèbre le 1er Dimanche après la Pentecôte la mémoire de tous les saints, quand les flots abondants de la grâce de l'Esprit renouvellent la terre et la préparent à recevoir les semences de sainteté.

Père Boris

Bulletin de la Crypte N° 324 juin 2004