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Les 50 ans de JosephLettre à mon frère Joseph

Joseph Loyer, fidèle de notre paroisse, s’est endormi dans la paix du Seigneur le 19 juin. Maxime Egger, qui était l’un de ses amis proches, évoque sa personnalité et son parcours spirituel caractérisé par une recherche constante et libre de Dieu ; cette liberté qui fait la grandeur de l’homme, la grandeur de Joseph. Que le Dieu fasse reposer Joseph parmi les saints et lui accorde une mémoire éternelle !

Joseph, mon frère, tu te souviens ?
Nous nous sommes rencontrés la première fois au monastère Saint-Jean-Baptiste en Angleterre, lors d’un pèlerinage de l’association Saint-Silouane en juillet 1997. Je vous revois, toi et Marie-Madeleine ton épouse, le dimanche soir, un peu déçus au fond du réfectoire, après une journée d’offices tout en grec… Vous étiez devenus orthodoxes deux ans auparavant à Béthanie, à la Pentecôte. Vous étiez tout feu tout flamme, attirés par l’enseignement du starets Silouane et le rayonnement du père Sophrony. Mais quasi personne ne vous avait adressé la parole depuis votre arrivée, la veille. Vous n’aviez pas reçu l’accueil et l’attention que vous espériez. Cela avait réveillé en vous une blessure : la douleur des orthodoxes d’Occident liés à des communautés souvent dénigrées par l’Eglise officielle. J’ai senti déjà, chez toi, ce besoin d’être reconnu et aimé pour ce que tu es, cette soif d’ouverture, cette colère face aux préjugés et à l’ignorance érigée en soi-disant vérité. Le Christ, pour toi, n’avait pas de frontière.
Nous avons parlé. Beaucoup. Toute la soirée. Tu m’as raconté ton histoire : une aspiration au divin dès l’enfance, un milieu familial pesant et résigné, la privation de toute éducation religieuse par un père anticlérical, l’entrée dans un cheminement intérieur – avec Marie-Madeleine – aux alentours de la quarantaine. Avec comme jalons notamment la lecture de Françoise Dolto et la découverte d’Annick de Souzenelle. C’est par elle, son enseignement sur la symbolique des lettres hébraïques et du corps humain, que tu vas découvrir la profondeur mystique de l’orthodoxie et t’ancrer résolument dans la tradition chrétienne. Sans cesser pour autant d’être à l’écoute des autres voies spirituelles. Tu me parlais ces derniers temps souvent du Kabbaliste de Patrick Lévy, qui t’avait impressionné.
Ce soir-là, comme à chacune de nos rencontres – quelle que soit la gravité de ce que tu avais à traverser – nous avons fini par rire. Car tu aimais rire. Et ton rire était comme un éclat de lumière. « L’humour, union et contraction de l’amour et de l’humilité », aimais-tu répéter.
Joseph, tu es mort et je t’écris. Bizarre, non ? C’est que si tu n’es plus là – physiquement, je veux dire – tu restes très présent. Vivant. Dans mon cœur et mon esprit. Et tu le demeureras. Eh oui, il va falloir t’y faire : certes, nous ne pourrons plus nous offrir des séances de skype, mais – comme beaucoup de tes proches sans doute – je n’en ai pas fini de dialoguer avec toi. Toi, l’impénitent quêteur de sens et de vérité, toujours plein d’interrogations et de doutes, assoiffé de « connaître » et de « comprendre ». « Connaître » au sens premier de « prendre avec » : avec Dieu le Tout Autre, bien sûr, mais aussi avec l’autre dans son altérité la plus radicale – et quoi de plus autre que la femme, Marie-Madeleine, qui t’a choisi et que tu as appris à « choisir ». « Comprendre » pas seulement avec la tête, mais de tout ton être. Avec ton corps même. Car, disais-tu, « le corps sait », mieux que l’intellect qui nous fait tourner en rond. Il « sait » ce que nous sommes venus rencontrer et vivre par notre naissance, dans notre existence.
Joseph, j’ai tant aimé échangé avec toi. Après nos conversations, je me sentais à chaque fois plus intelligent, plus profond. C’est particulièrement vrai de notre dernière rencontre, fin avril, dans votre charmante bicoque de Picardie. Tu étais cloué au lit, « collé dans ton corps », ce corps par moment si lourd, encombrant, douloureux. Mais en même temps, ton visage resplendissait, tes yeux pétillaient. Pleins de vie. Oui, de la vie de l’Esprit, plus forte que la mort.
En quelques heures, nous avons parcouru tout ce qui a compté dans ton existence. Non pas ces choses extérieures qui soi-disant posent un homme, mais en réalité bien souvent l’enlisent : la carrière, l’argent, la réussite sociale. Pas que tu n’aies pas été brillant dans tes activités professionnelles, mais l’essentiel était ailleurs. Electrotechnicien de formation, tu t’es vite éloigné des choses matérielles pour les réalités plus existentielles. Formé à l’analyse transactionnelle, tu deviendras formateur-consultant en relations humaines dans le domaine du management. Mais de cela aussi, tu as vite vu les limites. Tes accès récurrents de mélancolie – qui te coupaient dans ton élan – te poussaient sans cesse à aller plus loin, plus profond, dans le questionnement sur le sens de la vie. L’appel de Dieu à Abraham ne cessait de résonner en toi : « Quitte ton pays et va vers toi » (Gn 12, 1).
Aller vers toi, cela signifiait d’abord t’incarner. Et s’incarner, c’est assumer pour transformer. Tout. Absolument tout : les lumières et les ombres, les cieux et les enfers, les élans sublimes et les passions les moins reluisantes. Sans jugement ni « haine de soi » ni « autocondamnation » – ces mots te faisaient dresser les cheveux sur la tête !
Ce chemin d’incarnation et de transformation, tu l’as vécu en Christ. Mais à travers un outil particulier : la mémoire cellulaire. Une méthode à laquelle tu t’es formé pour devenir praticien et accompagnateur, mais que tu as surtout vécue au plus intime de ton être, en poursuivant un travail thérapeutique personnel. Elle t’a donné les clés pour comprendre les dépressions, accidents et maladies qui n’ont cessé de fondre sur toi. Jusqu’à ce cancer qui, au bout de plus de quatre années de lutte, aura eu raison de ton corps. Seulement de ton corps.
Ce cancer, pour toi, avait un sens. Tu n’en n’étais pas victime. Il constituait même, d’une certaine manière, une « bénédiction », m’avais-tu dit. L’occasion de prendre la responsabilité de ta vie dans toute sa réalité et sa vérité. Les métastases exprimaient les mémoires « engrammées » dans tes cellules, qui avaient bloqué ton énergie vitale depuis longtemps, empêché la manifestation de ton être essentiel – l’image de Dieu – en t’enfermant dans des structures mentales répétitives et des comportements émotionnels « mortifères ». Des mémoires et vibrations issues de ta lignée familiale qu’il te fallait porter à la conscience pour les purifier et t’en libérer.
Ce travail de libération et de purification, tu ne l’as pas accompli seul ni pour toi seul. Tu en as fait un lieu de communion et de partage. Avec Marie-Madeleine, dans une aventure de couple décapante et vertigineuse. Pour toute ta lignée, d’avant et d’après : tes enfants Aude, Elodie et Baptiste et tes petits-enfants à venir. Mais aussi, ultimement et indirectement, pour l’Adam total. Car, les dernières semaines, tu es descendu dans de telles profondeurs que ton travail a pris une dimension cosmique. Avec toutes les résistances et attaques qui en découlent. Au point de te faire douter. Les ténèbres se révoltent toujours contre la lumière.
Tu aimais beaucoup ce verset biblique qui semble avoir été écrit pour toi : « J’ai mis devant toi la vie et la mort. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité » (Dt 30, 19). La maladie t’a conduit devant ce choix, brûlant. Et tu as fini par choisir la vie, par dire oui à l’amour, à la confiance et à la joie. Mais pour cela, il t’a fallu traverser l’en bas, avec tous ses non, ses doutes et ses forces de mort.
Joseph, tu as appris dans ta chair qu’il y a trois vies : la vie biologique – celle que connaît la science –, la vie qui naît de l’amour et du désir de vivre, et la vie qui vient d’En haut, donnée par la grâce de l’Esprit. Tu nous as donné un magnifique et vibrant témoignage de ces deux dernières formes de vie. Tu es mort, certes, mais vivant. Dans la Vie. « Calé dans ta fleur de vie », comme tu le chantais dans ton ultime silence, avant de naître au ciel. Déjà ressuscité, d’une certaine manière. Dans l’espérance de la résurrection finale.
Merci Joseph, pour tout cela. Je suis fier de toi. Si fier et heureux d’être ton frère.

Maxime

 

 

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