Second dimanche de carême - Dimanche de saint Grégoire Palamas.
Hébreux
I, 10 - II, 3
Évangile selon saint Marc II, 1-12
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Quand Jésus dit au paralytique : « Mon enfant, tes péchés te sont remis », Il soulève un murmure de réprobation chez les scribes.
Cette réaction découle de leurs préjugés sur Jésus : « Comment un homme peut-il parler ainsi ?Seul Dieu peut remettre les péchés. » Le refus de reconnaître en Jésus le Fils de Dieu sera la cause de la mort du Christ : Il s'est fait le Fils de Dieu ! Même si à ce prétexte théologique se sont mêlés des motifs plus bassement humains, comme la conviction des scribes et pharisiens de détenir seuls la vérité et de représenter seuls l'autorité religieuse avec tous ses profits.
Mais on peut considérer l'épisode de la guérison du paralytique sous un autre angle, celui de l'unité fondamentale de l'homme. Voici un malheureux que ses amis amènent pour que Jésus le guérisse de sa paralysie. Et que dit Jésus ? « tes péchés te sont remis » ! Il y a donc en nous un rapport et même un lien unitif et constitutif entre le corporel, le psychique et le spirituel. C'était d'ailleurs la conception traditionnelle des sémites. L'homme est un tout. On ne peut impunément vivre dans un désordre spirituel sans que le corps n'en souffre ; et inversement une atteinte organique entraîne une souffrance de l'âme. Même si ces choses paraissent occultées de nos jours par le développement disharmonieux des techniques et des sciences par rapport à celui du sens moral et de la vie spirituelle, elles n'en restent pas moins vraies ; comme le montrent bien les aberrations du comportement et la somme des souffrances inimaginables de l'homme d'aujourd'hui.
Il s'ensuit que non seulement Jésus peut remettre les péchés du paralytique et en même temps le libérer de sa maladie corporelle, mais que Jésus ne peut qu'en même temps guérir somatiquement et délivrer spirituellement. C'est d'ailleurs ce qui se produit de nombreuses fois, quand Jésus libère malades et infirmes en disant : « Va et ne pèche plus. »
Ainsi, dans la plénitude de notre nature, nous ne sommes pas divisibles. Il s'ensuit que tout entiers, corps, âme et esprit, nous sommes appelés à nous sanctifier. C'est ce que le christianisme oriental a toujours prêché, et que, parmi ses saints, Grégoire Palamas a révélé dans la plus grande clarté, dans la plus grande lumière peut-on dire, celle du Mont Thabor.
Pour la tradition hésychaste et pour son chantre, saint Grégoire, l'unité de la nature humaine va de soi. Aucune partie de cette nature n'est exclue de l'union avec Dieu, non seulement l'esprit, mais l'âme et le corps. L'expérience spirituelle hésychaste surmonte les oppositions de l'antique philosophie entre corps et esprit. Aux arguties des scolastiques, saint Grégoire pouvait répondre : « Toute parole peut contester une autre parole, mais quelle parole peut contester la vie ? » Le Christ ne dit-Il pas de Lui-même qu'Il est « le chemin, la vérité et la vie »?
L'expérience de l'Église et celle de saint Grégoire en particulier sont là pour montrer que l'homme tout entier peut participer non seulement à la sanctification, mais à la déification, à la transfiguration, dans la lumière incréée. Les hésychastes ont reçu la grâce de connaître cette expérience de la lumière thaborique, corps et esprit, celle-là même que vécurent Pierre, Jacques et Jean. Au nom de saint Grégoire Palamas, on peut associer ceux de saint Syméon le Nouveau Théologien et de saint Séraphim de Sarov, pour ce qui est des saints dont nous avons un témoignage écrit. Mais combien d'autres ne sont-ils pas entrés aussi dans la lumière de la connaissance de la divinité du Christ !
La relation de telles expériences n'est pas pour satisfaire une vaine curiosité. C'est l'affirmation pour nous tous de la réalité et de la possibilité, dès ce monde-ci, de la transfiguration et de la déification de notre être tout entier, nature et personne. C'est la démonstration de la réalité présente du Royaume encore à venir, en tous ceux qui reçoivent le Christ comme chemin, vérité et vie. Il est vraiment la lumière du monde.
La possibilité de communier à la lumière incréée n'a pas pour seule fin de stimuler notre foi, elle ouvre aussi les yeux du cœur sur l'amour de Dieu. À la limite il est plus important de comprendre et d'entrer dans cet amour du Christ, dont rien ne peut nous séparer, ni la mort, ni la vie, ni la peur de la mort, ni les craintes de la vie. Quand Jésus guérit le paralytique, Sa Gloire est masquée et ses opposants n'étaient pas tenus de la voir. Mais Son amour pour le malade était totalement présent, offert, donné, et les scribes eussent dû le ressentir. Mais là aussi, dans l'unité de leur esprit et de leur cœur fermés, ils étaient totalement aveugles, incapables de saisir la charité du Christ, l'amour et le pardon de Dieu.
Il ne faut pas qu'il en soit de même aujourd'hui pour nous. À Pâques nous découvrirons dans les lumières de l'Église l'annonce et la figure de la lumière du Royaume. Mais c'est dès maintenant, en ce Carême, qu'il nous faut découvrir l'amour de Dieu pour tous, pour le monde en son entier, et le manifester autour de nous. Exerçons-nous donc à cet amour réciproque, dans la justice et la vérité, car, dit saint Jean, ce sont ceux qui aiment leurs frères qui demeurent dans la lumière.