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L'Aveugle-né

ic»ne de l'aveugle nþ Sixième dimanche après Pâques
Livres des Actes XVI, 16-34
Évangile selon saint Jean IX, 1-38

Homélie par Père René à la crypte le 13 mai 2007

Guéri, l’aveugle affirme : Jésus est un prophète. Harcelé par les pharisiens, il ajoute : "Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire." Puis, quand Jésus l’amène à se découvrir entièrement : "Crois-tu au Fils de l’homme ?", "Qui est-il, Seigneur ?" interroge-t-il.

Interrogation qui est déjà une confession qui n’est pas sans rappeler la même confession proférée par saint Paul – alors encore Saül – sur la route de Damas : une voix lui dit : "Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ?", "Qui es-Tu, Seigneur ?" demande Saül (1), question qui contient en elle-même la réponse. L’aveugle-né comme plus tard saint Paul confesse Jésus "Seigneur", c’est-à-dire Kyrios, le Nom même de Dieu. Le premier pour avoir recouvré la vue, le second pour l’avoir momentanément perdue. Tous deux découvrent au plus profond d’eux-mêmes la divinité du Christ. "Je crois, Seigneur," dit l’aveugle guéri et il se prosterne devant Jésus.

Croire ! Quel mot équivoque ! Croire, en langage courant, c’est vivre dans la supposition, dans le doute. À la limite c’est la prudence matoise : peut-être bien qu’oui, peut-être bien qu’non. C’est l’acceptation par avance de toute éventualité, l’absence de tout engagement affirmé, le refus de toute adhésion personnelle.

Pour nous, chrétiens, c’est tout l’opposé. Croire n’est pas évoquer une hypothèse, une supposition, voire une probabilité. C’est une affirmation catégorique, irréductible, irréfragable qui engage toute notre personne. C’est proclamer une conviction intérieure inébranlable. C’est affirmer, détenir et vivre dans l’assurance non seulement des choses à venir, mais c’est expérimenter en soi dès aujourd’hui la présence vivante et agissante du Christ.

Cette assurance – celle de l’aveugle-né, celle de Saül devenu Paul, celle des Apôtres qui ont connu le Christ, celle des témoins qui ont versé leur sang pour Lui, celle de tous nos Pères dans la foi – se perpétue en chacun de nous en Église.
Croire pour nous tous, pour tous les chrétiens qui proclament "Je crois", c’est affirmer notre foi en Jésus Sauveur, Seigneur et Rédempteur. Cette affirmation est un choix, une option de notre cœur que rien d’objectif ne saurait prouver devant autrui. Car Dieu ne s’impose pas. Dieu nous laisse libres de L’accepter, de L’aimer, de L’adorer ou de Le rejeter. Aussi quand nous disons : "Je crois", nous nous engageons totalement devant Dieu comme devant le monde.

Quand nous proclamons : "Je crois en un seul Dieu Père... Je crois en un seul Seigneur Jésus-Christ Fils de Dieu... Je crois en l’Esprit Saint, Seigneur..." nous confessons une certitude que rien ne saurait ébranler, quand bien même rien, objectivement parlant, ne saurait prouver. La foi est un mystère de notre cœur qui, comme on l’a dit, a ses raisons que la raison ne connaît pas.

De cela l’aveugle-né est entièrement habité. "Je crois, Seigneur", confesse-t-il et il se prosterne devant Jésus. Prosternation, geste d’adoration, geste d’humilité certes devant l’ineffable et la Toute Puissance ; mais plus encore geste d’amour, de remise de sa propre personne entre les mains du Seigneur, geste d’abandon de soi et geste de don à Dieu. Geste qui se retrouve chez tous ceux que le Christ a guéri et sauvé de leurs péchés et qui, aujourd’hui comme hier, ont trouvé et reconnu le Christ.

Rencontrer le Christ, confesser le Christ, voici le but, le sens de notre vie. Trouver le Christ, c’est trouver le sens de notre présence au monde, le sens de ce monde même. Fuyons donc les questionnements stériles, propres seulement à troubler les cœurs encore tièdes, inquiets ou indécis. Pour cela il faut et il suffit de rester simples de cœur et d’esprit.

Il faut nous accepter nous-mêmes avec simplicité dans nos élans comme dans nos inquiétudes, quand bien même il viendrait à passer une ombre, un nuage sur nos vies. "Comment cela est-il possible ?" disons-nous parfois. La Mère de Dieu a dit la même chose. Mais elle ne doutait absolument pas. C’était seulement pour savoir le comment de la promesse qui lui était faite. Quand nous disons la même chose, c’est pour sous-entendre : cela n’est-il pas trop beau ? Trop beau pour être vrai ?

Eh bien, oui ! Rien n’est trop beau pour Dieu. Dieu est la beauté absolue, comme Il est la bonté absolue et par-dessus tout l’Amour absolu. Acceptons dans la foi de n’en avoir aujourd’hui qu’une conscience imparfaite, car aujourd’hui nous ne voyons qu’en image, mais demain nous verrons face à face.

C’est le prodige de la foi de l’aveugle-né. Voir face à face. Car jusque-là il était aveugle. Jésus, il n’avait pu encore le voir. Mais il l’avait reconnu avec son cœur, à travers son cœur. Il croit de toute la force de son cœur, du plus profond de son cœur. Tout aveugle qu’il ait été, déjà il sait voir et reconnaître. Ou plutôt il découvre dans et au-delà du geste salvateur de Jésus tout l’amour du Sauveur, tout l’amour de Dieu. Guéri de façon totalement inconcevable et inespérée, il manifeste une fidélité inconditionnelle envers son Sauveur. Son attachement est admirable d’intelligence et de courage. Malgré l’abandon des siens et les attaques des autorités, il ne cède rien, il ne cède jamais. Jésus est irréductiblement inscrit dans son cœur. Et il n’attend que de Le rencontrer pour le confesser : "Je crois, Seigneur !".

Bien sûr, nous, nous n’aurons pas connu le Jésus de l’Histoire. Mais nous connaissons l’histoire de Jésus. Que chacun s’interroge. Dans nos vies, n’y a-t-il pas eu un ou des moments où nous avons reçu la conviction de l’intervention salvatrice du Christ notre Dieu ? Où, même sans parler de miracle, nous avons ressenti que Dieu était présent et agissant en nous ? Plus simplement encore, voyons, si aujourd’hui descendant dans nos propres cœurs, nous n’y trouvons pas la conviction que la paix et le repos, quand nous les éprouvons, sont le signe de la présence de Dieu en nous.

D’ailleurs, si nous n’étions pas portés par ce sentiment vécu, nous ne serions pas ici aujourd’hui en Église. Car ici, nous le savons d’expérience, la puissance de l’Esprit nous saisit et nous élève auprès du Sauveur. L’Église est le lieu privilégié de notre rencontre avec le Christ. Ici plus encore nous entrons en symbiose avec le Christ. C’est une rencontre vivante, vécue, expérimentée, jusqu’à culminer et s’achever dans la fusion avec le Saint Corps et le Saint Sang de notre Seigneur.

À Bethel, la maison de Dieu, Jacob avait rencontré Dieu sans le savoir (2) , sans le reconnaître, sans le comprendre. En Église, qui est la véritable Maison de Dieu, nous Le trouvons dans la foi certes, mais par la puissance de l’Esprit, réellement : nous Le rencontrons, nous Le goûtons, nous Le vivons en vérité, nous recevons cette Communion divine de toutes parts, dans les chants, les psaumes, les litanies, les prières… à la lecture de la Parole et jusque dans le partage du Calice. Pour autant, nous restons vulnérables aux accidents de la vie, exposés aux épreuves de l’existence. La foi n’est pas là pour nous les éviter. Mais elle nous donne de les supporter, de les transcender et, si nous en sommes capables, de les transfigurer pour la vie et le salut du monde.

Alors écrions-nous avec saint Séraphim de Sarov, avec tous les Saints de l’Église, dont nous sommes : "Ma Joie, le Christ est ressuscité !"

Amen.

Père René

Notes

(1) Cf. Actes des Apôtres XXII, 7-8.

(2) Cf. Genèse XXVIII, 16.