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Ascension

Ascension de Notre Seigneur, Dieu et Sauveur Jésus-Christ

Actes des Apôtres I, 1-12
Évangile selon saint Luc XXIV, 36-53

Homélie

prononcée par le Père Boris à la Crypte le 31 mai 1984.

Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,Père Boris Bobrinskoÿ
Depuis la Pentecôte jusqu’à la fin des temps l’Église se souvient, elle se souvient de chaque moment de la venue, de la vie sur terre de Jésus. Elle s’en souvient avec amour et elle nous invite et nous entraîne à pénétrer, toujours de plus en plus profondément, dans chacune de ces étapes de la vie de Jésus. Ces étapes sont elles-mêmes des étapes fondamentales pour notre propre existence, pour notre salut et pour la vie de l’Église, pour la vie du monde, pour la vie de l’homme.

Ce mystère de l’Ascension que l’Église célèbre aujourd’hui n’est pas moins important pour notre salut que la venue de Jésus, que l’Incarnation du Fils de Dieu que nous fêtons avec gloire et éclat. Bien souvent l’Ascension, surtout en Occident, passe inaperçue, du moins quant à son sens, à son contenu religieux, théologique, spirituel. Nous avons même tendance à la réduire à un récit mythologique ou légendaire. Il est vrai que ce mystère de l’Ascension ne peut pas être réduit à un événement purement historique, car s’il y a d’une part le moment même de l’élévation de Jésus, de sa séparation d’avec les apôtres, comme le dit l’Évangéliste Luc : « Il fut séparé d’eux », il y a d’autre part aussi une autre réalité dont aucun témoin oculaire ne pouvait et n’aurait jamais pu attester la véracité, la vérité qui dépasse toute compréhension humaine, c’est la traversée des cieux par Jésus, comme le chantent les textes liturgiques à la suite des psaumes, à la suite de l’épître aux Hébreux : « Il traversa les Cieux ». Là aussi il n’y a pas simplement la conception archaïque de la composition du cosmos et des cieux et d’un Dieu habitant le septième ciel, Jésus traversa les cieux, comme le confesse à la fin de son évangile saint Marc, Il fut élevé, Il fut enlevé au ciel et Il s’assit à la droite de Dieu. Tous les symboles de foi réitèrent cette confession de l’évangéliste Marc qui dit de manière absolument nette et tranchée : « Il fut élevé au ciel et s’est assis à la droite de Dieu » . De même dans la liturgie eucharistique que nous célébrons de dimanche en dimanche, ou dans les fêtes, l’Église se souvient également de celui qui a été élevé au ciel et qui est assis à la droite du Père. Nous sommes, je pourrais le dire, imbriqués dans ce mystère de l’Ascension, il n’est pas extérieur à nous et nous ne sommes pas extérieur à lui, c’est un mystère qui englobe et qui embrasse l’existence du cosmos tout entier. C’est dans la mesure où Jésus est élevé au ciel qu’il nous attire à Lui et qu’il nous entraîne derrière Lui dans ce mouvement ascensionnel qui est un aspect fondamental du salut et de la vie de l’Église et de chacun de nous. Quand le Fils de l’homme, disait Jésus, sera élevé de terre Il attirera tous les hommes à Lui, et l’Évangéliste ajoute « Il disait cela montrant de quelle mort Il devait mourir. »

Si nous allons au cœur même de cette image de l’Ascension, c’est-à-dire de l’élévation, il y a non seulement la Gloire mais aussi la Croix, ou plutôt, pour mettre ensemble ces deux réalités il y a la croix glorieuse, mais aussi on peut le dire autrement, il y a la gloire "kénotique", c’est-à-dire la gloire souffrante, la gloire à travers la souffrance. Les deux sont tellement liés, tellement un, qu’on ne peut pas les décomposer en des moments différents. Bien sûr, nous vivons d’abord le Vendredi Saint et puis la Pâque, mais nous savons de toute notre certitude que la victoire du Christ sur les forces du mal et sur les ténèbres est déjà réalisée, est déjà accomplie au Vendredi Saint. Maintenant le Fils de l’Homme est glorifié et le Père est glorifié en Lui, maintenant le prince de ce monde est chassé dehors et la voix du Père se fait entendre : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore » : Donc nous sommes ici complètement dérangés de nos habitudes et de notre conception d’un temps spatial fait de moments qui se succèdent. Le mystère du Salut est un mystère unique dans lequel Dieu descend pour nous accueillir, pour nous assumer là où nous sommes, dans notre misère, dans notre déchéance, dans notre souffrance aussi et pour nous ramener vers le Père. L’image de l’Ascension c’est l’image de la montée que Jésus emploie souvent dans l’évangile de saint Jean. C’est une dimension constante de la prédication évangélique. Mais l’image de l’Ascension peut être aussi complétée par d’autres images comme, par exemple, celle de la parabole dans les synoptiques, du bon pasteur, du bon berger qui s’en va dans la montagne à la recherche de la brebis égarée et qui, l’ayant trouvée, la prend sur ses épaules et la ramène dans le bercail et il y a là une grande joie parmi les anges. On sent ici, dans les paraboles de Jésus, cette exultation évangélique particulièrement manifestée aujourd’hui dans la célébration de l’Ascension.

L’Ascension est ainsi un aspect essentiel du mystère du Salut. Un aspect incompréhensible, je dirais même plus difficile presque à accepter que l’Incarnation. Parce que l’Incarnation signifie une vérité qui nous est coutumière, trop coutumière peut-être, que Dieu s’est fait homme, que le Fils de Dieu s’est incarné dans le sein de la Vierge Marie, qu’Il a grandi, qu’Il est devenu adulte et qu’Il a assumé les souffrances, et qu’Il est mort et est ressuscité. Mais parler de l’Ascension ce n’est pas simplement parler du retour du Fils de Dieu, de ce Fils de Dieu qui n’a d’ailleurs jamais quitté le sein du Père. Il y a là une contradiction dont nous devons tenir ensemble les deux termes : d’une part le Fils ne s’est jamais séparé du Père, mais d’autre part Il est descendu jusqu’à nous et Il est entré dans ce chemin étroit de la nature humaine abîmée par le péché. Et lorsque Jésus revient vers le Père, Il ne revient pas seul. C’est bien sûr le Bon Pasteur qui prend la brebis égarée, mais cette brebis égarée fait un avec le Bon Pasteur, de telle manière que le Bon Pasteur Lui-même s’appellera l’Agneau. Par conséquent il y a cette unité, cette unité merveilleuse, cette unité incompréhensible, cette unité scandaleuse pour la raison humaine et pour celle des anges qui refuseront cette révélation et qui s’éloigneront de Dieu dans les domaines de l’enfer. Cette unité de la nature divine et de la nature humaine – de cette nature humaine créée bonne et belle par Dieu – a été assumée par Jésus, et Jésus s’élève avec elle, c’est-à-dire potentiellement, initialement déjà avec nous dans un chemin où Il entre comme le Précurseur, comme Celui qui ouvre la voie. Ce n’est plus Jean-Baptiste qui est précurseur de Jésus, mais c’est Jésus Lui-même qui devient notre précurseur, le plus grand devient humble pour nous ouvrir le chemin et désormais ce chemin est ouvert pour toujours.

Par conséquent dans notre propre vie ecclésiale, liturgique, spirituelle, personnelle, dans notre engagement dans le monde, cette Ascension devient un mouvement, un dynamisme nécessaire ; nous ne pouvons pas nous désigner par nous-mêmes, l’homme ne peut pas se désigner comme un être clos, comme un "en soi" qui entrerait ensuite dans une relation toujours difficile, toujours impossible avec un Dieu lointain. Non seulement Dieu est devenu proche, mais Il nous entraîne vers Sa transcendance, Il nous entraîne à travers les chemins infinis de la montée vers la gloire, et la lumière, et la joie, et vers l’amour de Dieu. C’est ce que la liturgie nous rappelle, elle le rappelle avec force, non seulement dans ce que nous appelons l’anamnèse – ou le mémorial de la liturgie – lorsque nous nous souvenons de l’événement de Jésus, mais lorsqu’elle nous invite à notre tour : « élevons nos cœurs », dit le prêtre, et l’Église entière par la voix de la chorale répond : « nous les élevons, nous les avons vers le Seigneur ». C’est à la fois une affirmation et aussi bien sûr une adhésion. Cette invitation de l’Église est une invitation de l’Esprit Saint Lui-même à élever nos cœurs. Nous faisons cette invitation nôtre, nous voulons maintenant véritablement déposer tous les soucis de ce monde, nous voulons élever nos cœurs vers le Royaume, vers le Trône de Dieu et de l’Agneau. Élever nos cœurs dans ce mouvement d’ascension qui appartient à la substance même de la liturgie, de la prière commune ou personnelle, élever nos cœurs c’est difficile parce que nos cœurs sont remplis à la fois de choses bonnes et mauvaises. Dans l’Évangile Jésus nous l’apprend que c’est dans le cœur de l’homme que se nichent toutes les passions, les pensées, les soucis, les désirs, la charité. À la fois les choses bonnes et mauvaises. Mais c’est ce cœur tel qu’il est, tel que nous ne pourrons pas par nous-mêmes encore le rétablir, le purifier, le renouveler, que nous élevons vers Dieu, avec nos proches qui sont dedans. Le cœur est un monde immense qui contient toute la réalité, toute la souffrance, tous les drames du monde entier qui font – que nous le sachions ou pas, d’ailleurs – écho en nous-mêmes. Par conséquent c’est ce cœur que nous élevons, et tous ensemble nous nous élevons d’un seul cœur, d’une seule voix et d’une seule âme vers le trône de Jésus, et alors par la grâce et la puissance de l’Esprit Saint s’opère la purification du cœur. C’est cela aussi la liturgie, l’Eucharistie, la purification du cœur durant laquelle le Seigneur brûle en nous tout ce qui n’a pas place dans le Royaume.

Voilà donc quelques aspects de ce mystère de l’Ascension. Il faut savoir aussi que cette purification, cette brûlure des choses mauvaises et cette illumination du cœur où il ne reste plus que la Grâce de Dieu se fait par la puissance de l’Esprit Saint. Dans le temps de la vie de Jésus, Jésus est d’abord monté pour nous envoyer l’Esprit Saint dans notre vie à nous, et depuis que l’Esprit Saint est en nous, nous sommes désormais attirés par une force d’attraction vers le haut, force qui contrebalance la force d’attraction vers le bas, d’où le dilemme et le choix entre la pesanteur et la grâce. La grâce est aussi une attraction, elle est l’attraction véritable vers le lieu de notre existence, vers Dieu, vers le Seigneur par la puissance de l’Esprit Saint. Par conséquent nous sommes maintenant dans l’attente de l’Esprit Saint ; Jésus s’élève et nous sommes dans un temps tout à tait unique de ces dix jours, de ces quelques jours où Jésus semble absent mais où les apôtres demeurent dans la joie, où ils sont dans une prière unanime et ils savent que par la promesse de Jésus que l’Esprit Saint va venir et qu’Il va les remplir. Ils sont ainsi dans l’attente et nous aussi maintenant nous sommes dans l’attente de l’Esprit Saint qui va nous remplir pour réanimer, pour réactiver notre mouvement d’ascension.

Sachons aussi que lorsque nous nous élevons vers le Père par Jésus, nous ne pouvons pas le faire seuls, car on ne s’élève pas seul.

Nous ne pouvons nous élever et nous sanctifier que tous ensemble, cela n’est possible que si nous le faisons d’un seul cœur, d’un seul amour. Nous avons beaucoup à faire .