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Je suis de ceux qui pensent que l’être humain ne se construit pas sans structure, sans ordre, sans statut, sans règle. Que l’affirmation de la liberté n’implique pas la négation des limites. Que l’affirmation de l’égalité n’implique pas le nivellement des différences. Que la puissance de la technique et de l’imagination exige de ne jamais oublier que l’être est don, que la vie nous précède toujours et qu’elle a ses lois.
J’ai envie d’une société où la modernité prendrait toute sa place, sans que, pour autant, soient niés les principes élémentaires de l’écologie humaine et familiale.
D’une société où la diversité des manières d’être, de vivre et de désirer soit acceptée comme une chance, sans que, pour autant, cette diversité soit diluée dans la réduction à un plus petit dénominateur qui efface toute différenciation.
D’une société où, malgré le déploiement du virtuel et de l’intelligence critique, les mots les plus simples – père, mère, époux, parents – gardent leur signification, à la fois symbolique et incarnée.
D’une société où les enfants sont accueillis et trouvent leur place, toute leur place, sans pour autant devenir objet de possession à tout prix ou enjeu de pouvoir.
J’ai envie d’une société où ce qui se joue d’extraordinaire dans la rencontre de l’homme et de la femme continue à être institué, sous un nom spécifique.
J’ai longtemps hésité à aborder cette question brûlante d’actualité du « mariage pour tous » dans notre Bulletin.
Il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit du mariage civil et qu’en aucun cas le religieux ne peut imposer son point de vue à la société. Cependant, je ne crois pas, comme on me l’a souvent répété, que l’Église ne soit pas concernée et qu’elle doive rester en dehors du débat.
Nous n’avons rien à imposer au monde mais nous avons à dire. À temps et à contretemps, à apporter l’éclairage de l’Évangile sur notre vision du monde, que ce soient dans les domaines sociaux, économiques ou éthiques. Il m’a finalement semblé que le silence sur un sujet essentiel tel que celui-ci n’est pas de mise. Nous-mêmes, au sein de notre communauté, nous avons pu avoir des débats, parfois passionnés. Certains de nos fidèles ont pris part à des manifestations, d’autres ont signé des pétitions.
Mon propos n’est pas de revenir sur le fond du débat. Ces quelques lignes en exergue de Gilles Bernheim, comme les prises de positions de nombreux pasteurs et penseurs orthodoxes, catholiques ou protestants, ont déjà réaffirmé le sens du mariage, béni par notre Seigneur à Cana, le sens de la famille comme cellule de base de l’Église et de la société. Je crois qu’au-delà de tous ces débats, de nos prises de position, c’est notre attitude qui est essentielle : chacun de nous est appelé à être particulièrement attentif à écouter et à ne pas blesser ! Être attentif à ne pas proférer de jugement ni entrer dans une spirale homophobe – souvent sans même s’en apercevoir, pris par la véhémence des débats - parce que l’on blesse, souvent de manière inconsciente, et que les plaies peuvent être profondes.
Notre attitude de chrétien doit être avant tout de toujours accueillir celui qui est différent et de panser les plaies de celui qui est blessé. Attitude qui, tout en reconnaissant l’authenticité de l’amour pouvant lier deux personnes du même sexe, n’empêche pas une prise de position ferme sur certains points, notamment sur la question de la filiation : on ne peut qu’exhorter, malgré la souffrance qui peut en résulter, à réserver la médecine à la guérison ou à la palliation de maladies des couples stériles, non à la création de conditions « hors nature » de procréation.
Au-delà d’une politisation, qui n’a pas sa place dans un sujet aussi décisif, je perçois aussi sur cette question une rupture de génération. Nos jeunes ont de plus en plus de mal à comprendre le sens du mariage. Il est essentiel alors de savoir écouter, de respecter – car sans cela mes paroles seront vaines. Il est fondamental, une fois encore, d’être attentifs à ce que nous transmettons par notre façon d’être : dans le fond la remise en cause aujourd’hui du sens du mariage n’est-elle pas la résultante de tant de mariages bafoués, défigurés ?
L’enjeu, ici et maintenant, est de témoigner plus que jamais du sens et de la richesse de l’altérité dans un couple, du don de soi, de l’amour et de la réalité de la famille comme une petite Église, témoin dans le monde de l’infini amour du Seigneur pour sa création.