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Homélie |
La Multiplication des pains
Homélie 49 de saint Jean Chrysostome sur l'évangile de Mathieu
1. PRÉLUDES DU MIRACLE DE LA MULTIPLICATION DES PAINS.
Remarquez combien de fois Jésus se retire.
Lorsqu’on met Jean en prison, lorsqu’on le fait mourir, lorsque certains disaient qu’il faisait plus de disciples que Jean, nous voyons qu’il se retire dans toutes ces rencontres.
Il voulait généralement agir en homme, parce que le temps d’agir en Dieu, et de découvrir ce qu’Il était, n’était pas encore venu. C’est pour cette raison qu’Il ordonnait à ses disciples de ne dire à personne qu’Il était le Christ. Il attendait après sa résurrection pour le faire connaître à toute la terre.
Aussi n’a-t-Il pas témoigné une grande sévérité contre ceux qui jusque-là avaient été incrédules, et on voit qu’Il les traite avec beaucoup de douceur et d’indulgence.
Lorsqu’Il se retire ici, Il ne va point dans une autre ville, mais "dans le désert," et Il monte sur une barque, afin que personne ne le suive. Il est remarquable que les disciples de Jean-Baptiste s’unissent avec Jésus plus que jamais depuis la mort de leur maître, puisque ce sont eux-mêmes qui viennent Lui donner cet avis. Apparemment comme ils avaient renoncé à tout, et qu’après la mort de leur maître ils ne savaient où se retirer, ils s’étaient réfugiés vers le Fils de Dieu.
Ainsi la sagesse avec laquelle Jésus leur répondit, lorsqu’ils vinrent Le trouver de la part de Jean, fit l’effet qu’elle devait sur leur esprit, dans cette affliction que leur causa la mort de leur maître.
Mais, direz-vous, pourquoi Jésus ne se retire-t-Il pas même avant qu’on ne Lui apporte cette nouvelle, puisqu’il savait l’événement avant qu’on le Lui ait annoncé ?
C’est parce qu’Il voulait agir selon la nature humaine pour mieux établir la foi en Son incarnation.
Il voulait montrer qu’Il était homme, non seulement par sa présence visible, mais encore par ses actes. Il prévoyait que la malice du démon allait tout mettre en œuvre pour combattre cette vérité dans le monde.
C’est donc pour cette raison que Jésus se retire. Mais le peuple ne peut encore s’empêcher de Le suivre. Rien ne peut le retenir et la mort de Jean ne l’effraye point. Tant l’amour est puissant dans ce qu’il désire, pour repousser la crainte de tous les maux, et pour se mettre au-dessus de tous les obstacles ! Aussi cette multitude fidèle reçoit-elle bientôt la récompense de son zèle.
"Quand il débarqua, il vit une grande foule ; il en eut compassion, et Il guérit leurs malades. (14)"
Quelque affection que ce peuple témoigne pour suivre le Sauveur, ce que le Sauveur fait pour lui va néanmoins beaucoup au delà. C’est pourquoi l’Évangile marque que la première cause de ces guérisons, fut sa compassion et sa grande charité : "Il en eut compassion, et Il guérit leurs malades."
Jésus ne demande pas ici à cette foule de gens s’ils ont la foi ; cette foi éclatait suffisamment dans leur conduite, puisqu’ils abandonnaient leurs villes pour Le suivre dans les déserts, qu’ils Le cherchaient avec tant de soin, et qu’ils ne pouvaient se séparer de Lui malgré la faim qui les pressait.
Quoiqu’Il eût résolu de les nourrir, il ne le fait pas de Lui-même ni de Son propre mouvement. Il attend qu’on Le prie et qu’on Lui parle. Il garde ici la règle qu’Il observait partout, de ne pas aller le premier au-devant des miracles, mais d’attendre que les occasions se présentent.
Mais d’où vient que personne parmi tout ce peuple ne s’adressa lui-même à Jésus, pour Lui représenter son état ? C’est parce qu’ils avaient tous pour Lui un profond respect, et que la joie qu’ils avaient de Le suivre et de L’écouter, leur ôtait le sentiment de la nécessité où ils se trouvaient. Ses disciples même ne viennent pas le prier de nourrir ce peuple, parce qu’ils étaient encore trop imparfaits.
"Le soir venu, les disciples s'approchèrent de lui, disant : Le lieu est désert, et déjà l'heure est avancée ; renvoyez [donc] les foules, afin qu'ils aillent dans les bourgs s'acheter des vivres." (15)
Car si même après avoir vu ce grand miracle, ils en perdent aussitôt la mémoire, et si après avoir remporté tant de corbeilles pleines des morceaux qui restaient, ils ne laissèrent pas encore de croire qu’Il voulait leur parler de pain, lorsqu’il leur parlait "du levain" de la doctrine des pharisiens- combien étaient-ils moins capables de s’attendre à un miracle dont rien de ce qu’ils avaient déjà vu ne pouvait leur donner l’idée !
Quoiqu’en ce moment même ils aient vu toutes sortes de maladies guéries devant leurs yeux, ils étaient néanmoins si faibles qu’il ne leur vint aucune pensée de la multiplication des pains.
Considérez ici, mes frères, la sagesse avec laquelle Jésus les attire à la foi.
Il ne leur dit point tout d’un coup qu’il les nourrirait lui-même. Ils ne l’auraient pas cru s’il leur avait parlé de la sorte.
"Mais Jésus leur dit : Ils n'ont pas besoin de s'en aller ; donnez-leur vous-mêmes à manger."(16)
Il ne dit pas : je leur donnerai moi-même à manger. Mais : "donnez-leur en vous-mêmes." Car ils ne Le regardaient encore que comme un homme. Cependant ces paroles ne les font point encore rentrer en eux-mêmes : et continuant de lui parler toujours comme à un simple homme, ils lui disent : "Nous n'avons ici que cinq pains et deux poissons." (17)
C’est pourquoi Marc écrit qu’ils "ne comprirent pas ce que Jésus leur avait dit, parce que leur cœur était appesanti." (Mc 6, 52)
Mais Jésus voyant que leurs pensées restaient attachées à la terre, commence à se montrer et il dit : "apportez-les-moi ici." (18)
Si ce lieu est désert, il ne l’est pas pour celui qui nourrit toute la terre. Et si l’heure est déjà passée, celui qui parle n’est sujet ni aux heures ni au temps. Jean marque que ces pains étaient "des pains d’orge" ce qu’il ne fait pas sans mystère, mais pour nous apprendre à fouler aux pieds toutes les délices du monde, et tout le luxe des tables. C’était aussi la nourriture ordinaire des prophètes.
2. QU’IL FAUT PRIER AVANT LE REPAS
"Après avoir fait asseoir les foules sur l'herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, leva les yeux au ciel, prononça la bénédiction, rompit les pains et les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent aux foules." (19)
Pourquoi lève-t-Il ainsi les yeux au ciel pour bénir ces pains ?
Il fallait que l’on sache également de Jésus, qu’Il était égal à Dieu, et qu’il était envoyé par son Père. Les marques qui prouvaient l’une et l’autre de ces vérités semblaient se combattre et s’entre-détruire. Car pour témoigner qu’il était égal à son Père, il devait tout faire de Lui-même, et par Sa propre puissance ; au lieu qu’Il ne pouvait persuader les hommes que c’était son Père qui L’avait envoyé, qu’en témoignant envers Lui une humilité profonde, qu’en Lui rapportant toute la gloire de Ses actions, et en L’invoquant lorsqu’Il devait faire Ses plus grands miracles. C’est pourquoi Il ne s’est pas attaché exclusivement à l’une ou à l’autre de ces deux conduites ; mais Il S’est servi de toutes les deux, et Il les a tempérées l’une par l’autre.
Tantôt Il agit avec autorité ; tantôt Il prie avant d’agir. Et pour empêcher qu’Il ne parût se contredire lui-même, lorsqu’Il veut faire des miracles moins importants, Il lève les yeux au ciel ; mais lorsqu’Il fait quelque merveille plus extraordinaire, Il agit souverainement et par une puissance absolue, pour nous apprendre qu’Il ne tirait point d’ailleurs sa puissance dans les miracles ordinaires, et qu’Il ne se servait de prière alors, que pour rendre honneur à Dieu Son Père.
Ainsi lorsqu’Il remit les péchés, qu’Il ouvrit le paradis, et y fit entrer un voleur, qu’Il abolit si hautement la loi ancienne, qu’Il ressuscita tant de morts, qu’Il mit un frein aux tempêtes de la mer, qu’Il révéla le secret des cœurs, qu’Il guérit un aveugle-né, et qu’Il fit d’autres actions semblables qui ne peuvent être que les ouvrages d’un Dieu, on ne voit pas qu’il fît aucune prière : mais lorsqu’Il se prépare à la multiplication des pains, miracle bien moins considérable que ceux que je viens de marquer, alors Il lève ses yeux au ciel, pour nous apprendre cette vérité importante que je viens de dire, et nous faire voir en même temps que nous ne devons jamais nous mettre à table sans observer cette louable coutume des chrétiens, de bénir Celui qui par sa bonté nous donne de quoi nous nourrir.
3. CONTRE MARCION ET LES MANICHÉENS ET LES AUTRES HÉRÉTIQUES QUI NE VOULAIENT PAS QUE JÉSUS FÛT LE DIEU CRÉATEUR.
Mais on me demandera peut-être pourquoi il ne tirait pas plutôt du néant les pains dont il nourrit tout ce peuple.
Je réponds que c’était pour fermer la bouche à l’impie Marcion, et aux hérétiques manichéens, qui séparent Dieu de ses créatures, et qui nient qu’il en soit l’auteur.
Il voulait nous convaincre par ses actions que tout ce qui se voit sur la terre était Son ouvrage et Son héritage : que c’était Lui qui rendait la terre féconde, et lui faisait produire ses fruits : qu’Il avait dit dès le commencement : "Que la terre germe toute sorte d’herbes, et que les eaux produisent toutes sortes de poissons."
Le miracle qui s’opère ici n’est pas moindre que celui-là. Car si les premiers poissons n’étaient pas tirés d’autres déjà existants, ils étaient néanmoins tirés des eaux. Et ce n’est pas une chose moins admirable, de multiplier cinq pains et peu de poissons, en tant d’autres pains et en tant d’autres poissons, que d’avoir autrefois fait sortir tant de fruits du sein de la terre, et d’avoir tiré tant de poissons du sein des eaux. Jésus ne pouvait montrer plus efficacement qu’Il était le Créateur de la terre et de la mer, et qu’Il avait un souverain empire sur eux.
Après s’être contenté jusqu’ici de répandre seulement Ses grâces et Ses faveurs sur quelques malades, Il opère maintenant un miracle d’une efficacité universelle ; jusqu’ici la multitude n’avait été que témoin des guérisons de quelques individus ; voici maintenant une faveur à laquelle cette multitude tout entière prend part.
Il remet sous les yeux des incrédules le miracle qui avait paru si prodigieux à leurs pères, lorsqu’ils disaient : "pourra-t-il nous donner du pain, et nous préparer une nourriture dans le désert ?"
C’est ce qu’Il exécute ici véritablement, Il les avait insensiblement attirés dans ce désert, afin que ce miracle parût plus surprenant et moins suspect, et que personne ne pût dire qu’on avait eu secrètement cette nourriture de quelque ville voisine.
C’est dans ce dessein que l’Évangile marque non seulement le lieu où il était alors ; mais encore l’heure où ce miracle se fit.
5. CONTRE LE LUXE INUTILE
Nous apprenons encore ici quelle était la fermeté des apôtres, dans les grandes extrémités où ils se trouvaient, et combien ils étaient éloignés du luxe et de tous les délices. Au nombre de douze, ils n’avaient que cinq pains et deux poissons. Tant ils négligeaient ce qui ne regardait que le corps pour ne s’attacher qu’aux choses spirituelles !
Ils n’avaient pas même la moindre attache à ce peu qu’ils avaient, et ils le donnent de bon cœur aussitôt qu’on le leur demande.
Ceci nous apprend, mes frères, que quand nous n’aurions que fort peu de bien, nous ne devrions pas laisser de le donner à ceux qui en ont besoin. Car lorsque Jésus leur commande d’apporter ces cinq pains, ils ne lui répondent point : Seigneur, quand nous les aurons donnés, d’où aurons-nous de quoi nous nourrir, car nous sommes si pauvres ? Ils ne murmurent point de la sorte, et donnent promptement tout ce qu’ils ont.
Mais de plus il me semble que Jésus aime mieux multiplier ce peu de pains qu’ils avaient que d’en produire d’autres du néant, pour porter davantage ses apôtres à la foi. Car ils étaient encore fragiles.
C’est encore pour cette raison qu’Il lève les yeux au ciel avant de faire ce miracle d’un genre nouveau pour eux et dont ils n’avaient encore vu aucun exemple.
"Purs rompant les pains, il les donna à ses disciples, et les disciples au peuple" (19).
ayant pris et rompu ces pains il les distribua au peuple par les mains de ses apôtres, non seulement pour les honorer, par ce ministère, mais encore pour les convaincre de la vérité du miracle, et pour les empêcher, ou d’en douter lorsqu’il se faisait, ou de l’oublier ensuite, parce que leurs propres mains leur en devaient rendre témoignage.
C’est pour cette raison aussi qu’Il attend que le peuple se sente pressé de la faim, et que Ses apôtres s’approchent de Lui et L’interrogent.
Il veut que ce soit eux qui commandent au peuple de s’asseoir sur l’herbe, et qu’ils distribuent les pains de leurs propres mains, afin qu’il y eût plus de marques sensibles de ce qu’Il allait faire, et plus de témoins de ce miracle.
Car si après tant de preuves qu’ils en avaient, ils n’ont pas laissé de l’oublier, qu’auraient-ils fait s’Il ne s'était pas conduit avec tant de précaution et de prudence ?
4. DES DISPOSITIONS À APPORTER À LA SAINTE TABLE.
Il commande à tout le monde de s’asseoir sur l’herbe, pour inspirer à ce peuple un mépris de toutes les choses de la terre. Car il voulait aussi bien instruire l’âme que nourrir le corps. C’est pourquoi le lieu même où il fait ce miracle, le nombre certain des pains et des poissons, et cette distribution égale qui se fait à tous, sans préférer les uns aux autres, toutes ces choses, dis-je, sont pleines d’instruction : elles nous apprennent comment nous devons conserver l’humilité, la tempérance et la charité ; que nous devons avoir une bienveillance égale et uniforme envers tous, et que tout doit être commun entre les serviteurs d’un même Dieu.
"Tous mangèrent et furent rassasiés, et l'on emporta douze corbeilles pleines des morceaux qui restèrent." (20)
Jésus ayant béni et rompu ces pains les donna à ses disciples, et les apôtres au peuple, et ces pains se multipliaient entre les mains des apôtres.
Il ne borna pas la multiplication au besoin du peuple, il la fit surabonder, puisqu’il resta non seulement des pains entiers, mais encore des morceaux, afin que ceux qui n’étaient pas présents alors connussent par ces restes la vérité de ce qui s’était passé. Il attend que le peuple ait faim, afin qu’on ne prenne point cette action pour une illusion et un songe. Il veut encore qu’il en reste douze corbeilles afin que Judas même porte la sienne.
Le Sauveur aurait pu, s’il l’eût voulu, éteindre invisiblement la faim. Mais alors ses apôtres n’eussent rien vu de ce miracle caché, outre que cela s’était déjà fait dans la personne d’Élie et n’eût donc pas été si surprenant. Au lieu que certains furent tellement épouvantés de ce miracle, qu’ils voulurent sur-le-champ faire Jésus leur roi, ce qu’ils n’avaient encore fait pour aucun autre de Ses prodiges.
"Or ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants." (21)
Mais qui pourrait ici, mes frères, relever par ces paroles la grandeur de ce miracle ? Qui pourrait expliquer comment ces pains se multipliaient, comment ils sortaient des mains de Jésus comme d’une source féconde qui coulait ensuite dans tout ce désert et qui suffisait pour nourrir tant de personnes ? Car l’Évangile marque expressément qu’il y avait jusqu’à "cinq mille hommes sans compter les femmes et les enfants." C’est encore quelque chose qui fait l’éloge de ce peuple, que les femmes témoignent autant d’ardeur que les hommes pour suivre Jésus.
Mais que dirons-nous aussi de "ces restes ?" C’est un second miracle qui n’est pas moindre que le premier ?
Pourquoi le nombre des corbeilles qui en reste est-il si juste, qu’il égale celui des apôtres ?
Pourquoi n’y en a-t-il pas pus ou moins de douze ?
Lorsqu’il fait ramasser ces restes, Il ne les donne pas au peuple, mais Il donne ordre à Ses disciples de les emporter, parce que le peuple était plus faible et plus imparfait que les disciples.
"Aussitôt il obligea les disciples à monter dans la barque et à passer avant lui sur l'autre rive pendant qu'il renverrait les foules." (22)
Si ce miracle leur semblait une illusion lorsque Jésus était présent avec eux, et s’ils doutaient de la vérité de ce qu’ils voyaient, ils devaient se désabuser au moins lorsqu’il était absent. C’est pourquoi, pour leur permettre de soumettre à un examen attentif ce qui venait de se passer, Il leur fait prendre ces restes, preuves palpables du prodige, et les fait partir sans Lui.
On voit qu’ailleurs, lorsqu’Il est près de faire ses plus grands miracles, Il fait retirer le peuple, et souvent même Ses disciples, pour nous apprendre à ne jamais chercher la gloire des hommes, et à ne pas les attirer à notre suite.
Ce mot de l’Évangile, "Il obligea", marque le grand amour que les disciples avaient pour Jésus, et combien ils aimaient Sa présence.
Il les renvoie donc sans Lui, sous prétexte de demeurer pour congédier le peuple, mais en fait, pour se retirer seul sur la montagne. Il agissait de la sorte pour nous donner une instruction très importante en nous apprenant à ne pas converser continuellement avec le monde, et à ne pas nous en éloigner non plus toujours, mais à faire l’un et l’autre utilement, en modifiant notre conduite suivant le besoin du moment.
Apprenons donc, mes frères, à suivre le Fils de Dieu, et à nous attacher à lui, mais non à cause de ses faveurs sensibles, pour ne pas tomber dans ce reproche honteux qu’il fit à certains : "En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu ces miracles, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés." (Jn 6,26)
C’est pour cette raison qu’Il a évité de faire souvent ce miracle, et qu’Il S’est contenté de le faire seulement deux fois, pour nous apprendre à ne pas être les esclaves de l’intempérance, mais à nous élever au-dessus de ces choses basses et terrestres pour nous appliquer entièrement aux spirituelles.
Que ce soit là notre occupation, mes frères.
Cherchons continuellement ce pain céleste et divin ; et lorsque nous l’aurons reçu, bannissons tout autre soin, et tout autre désir de nos âmes.
Si ce peuple quitte et oublie sa maison, sa ville, ses proches, et toutes ses affaires ; s’il va dans le fond des déserts, sans que la faim et la nécessité puisse l’en chasser ; combien plus devons-nous le faire, lorsque nous approchons de la sainte table ? combien devons-nous avoir plus de zèle et plus d’ardeur pour les choses spirituelles, et ne donner à l’avenir que les moindres de nos pensées aux affaires d’ici-bas ?
Car nous voyons ici le reproche que Jésus fait aux incrédules, non parce qu’ils le cherchaient à cause des pains qu’il avait multipliés ; mais parce qu’ils ne le recherchaient qu’à cause de cela, et qu’ils en faisaient leur fin principale.
Celui qui a reçu de Dieu de grands dons, et qui les méprise pour s’attacher avec passion à d’autres qui sont infiniment moindres, et que celui-là même qui les lui donne l’oblige de négliger, perd par son ingratitude ces grandes grâces qu’il avait reçues. Que s’il recherche au contraire les choses grandes et spirituelles, Dieu lui donnera les autres "comme par surcroît". Car les biens de la terre, quelque grands qu’ils paraissent, sont si petits, si on les compare avec les véritables biens, qui sont ceux de l’âme, qu’ils ne tiennent lieu que comme d’un accessoire à l’égard des autres.